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L’impact de la défavorisation sociale sur la dynamique d’infection au SARS-CoV-2 en France entre mai 2020 et avril 2021

The effect of social deprivation on the dynamic of SARS-CoV-2 infection in France between May 2020 and April 2021 

Publié le 15 février 2022

On sait aujourd’hui que la crise sanitaire du Covid-19 rend plus visibles les inégalités sociales existantes. Les personnes les plus défavorisées sur le plan social ont un risque plus élevé d'infection par le SARS-CoV-2, et de développer des formes graves de Covid-19. Les mécanismes sous-jacents incluent une exposition différentielle au virus, une plus grande fragilité aux maladies infectieuses et aux complications associées, ainsi qu'un accès inégal aux soins.

En France, des études de séroprévalence ont montré que le risque d'infection par le SARS-CoV-2 au cours de la première vague (mars à mai 2020) était deux fois plus élevée dans les quartiers les plus défavorisés des villes, et chez les personnes vivant dans des logements collectifs, dans des établissements fermés ou dans des logements surpeuplés1.

Suivre en temps réel l'évolution de la pandémie en fonction des caractéristiques socioéconomiques de la population générale exige de disposer de données sur les caractéristiques sociales individuelles. En France, comme dans de nombreux autres pays, de telles données manquent que ce soit dans les dossiers médicaux ou dans les bases de données des systèmes de surveillance. Quelques enquêtes ponctuelles décrivent la situation pendant les deux premiers confinements, mais peu d'études internationales ont investigué la dynamique temporelle de l'incidence du SARS-CoV-2 au niveau national en termes d'inégalités sociales depuis le début de la pandémie. Le Haut Conseil de la santé publique dans son rapport d’octobre 2021 « Crise sanitaire Covid-19 et inégalités sociales de santé » conclut : « La gestion de la crise a conservé un caractère biomédical malgré son impact majeur au-delà de l’aspect infectieux. En période de crise, les ISS sont restées un objectif secondaire ».

L’étude publiée ce mois-ci dans The Lancet Public Health, menée par Santé publique France et l’équipe EQUITY de l’Inserm du CERCOP (Centre épidémiologique et de recherche en santé des populations) décrit pour la première fois la dynamique pandémique du SARS-CoV-2 en France entre mai 2020 et avril 2021 au regard de la défavorisation sociale, en utilisant une base de données nationale.

3 questions à Stéphanie Vandentorren, Santé publique France

Stéphanie Vantendorren

L’objectif de votre étude était d’analyser les inégalités sociales de santé au regard de la dynamique de la pandémie en France entre mai 2020 et avril 2021. Quelle a été votre démarche et la méthodologie mise en œuvre ?

Les données que nous avons analysées sont celles disponibles dans le Système d’Information de DEpistage Populationnel (SI-DEP) (voir encadré). Pour notre étude, les 70 990 478 tests RT-PCR de détection du SARS-CoV-2 dont 5 000 972 positifs recensés dans cette base sur la période du 14 mai 2020 au 5 mai 2021 ont été pris en compte. Les lieux de résidence de chacune des personnes ayant eu un test RT-PCR ont été géocodés à l’échelle de l’IRIS permettant d’attribuer à chacune de ces unités géographiques un indice de défavorisation. L’IRIS est une zone géographique incluant environ 2 000 personnes homogènes au niveau socioéconomique.

Nous avons ensuite calculé, pour chaque semaine et à l’échelle de chaque IRIS, trois indicateurs standardisés sur l’âge et le sexe : le taux d’incidence, le taux de positivité, et le taux de dépistage. 

Les inégalités sociales de santé (ISS) s’étudient par le biais d’indicateurs de défavorisation. Deux d’entre eux sont disponibles à ce jour au niveau de l’IRIS, pour l’ensemble du territoire national : l’Indice de désavantage social FDEP (French DEPrivation index) (2) et L’ EDI (European Deprivation Index) ou Indice de défavorisation Européen. Nous avons utilisé ce dernier, calculé à partir de l’EDI de 2015, composé de 10 variables écologiques (portant sur la composition de la famille, l’habitat et le travail, et définies au niveau d’un territoire, d’un lieu, …) issues des données de recensement et associées au niveau de défavorisation individuelle . Pour chaque IRIS, sont ainsi pris en compte les pourcentages : des personnes de nationalité étrangère, des ménages sans voiture, des personnes qui ne sont ni cadres ni de professions intermédiaires, des familles monoparentales, des ménages d'au moins deux personnes, des ménages non propriétaires de leur logement, des chômeurs, des personnes n’ayant pas de formation niveau enseignement supérieur (bac+), des logements surpeuplés, des personnes non mariées. Cet indice est ensuite catégorisé pour chaque IRIS en cinq niveaux appelés quintiles allant du niveau de dévaforisation le plus faible au plus élevé. Le premier quintile représente les personnes les plus favorisées et le cinquième les plus défavorisées. 

SI-DEP en bref

SIDEP (Système d’Information de DEpistage Populationnel) est un système de surveillance mis en place le 13 mai 2020 pour le suivi de l’ensemble des tests (tests RT-PCR et tests antigéniques) effectués en France pour le dépistage du SARS-CoV-2 par les laboratoires de ville et hospitaliers, les pharmacies, infirmier(e)s et médecins. Cette base contient des données pseudonymisées concernant le patient (âge, sexe, lieu de résidence) et le test (date de prélèvement, résultat). Le lieu de résidence fait l’objet d’un géocodage pour obtenir l’IRIS (Îlots regroupés pour l’information statistique). 
Ces données permettent de calculer les taux d’incidence, taux de positivité et taux de dépistage pour la surveillance de l’évolution de l’épidémie en France au niveau national, régional, départemental et infra-départemental.

Quels sont les principaux résultats de votre étude ? Qu’apportent-ils de nouveau et original au regard de ce que l’on sait déjà ?

Nos résultats mettent en évidence que les individus vivant dans les zones les plus défavorisées ont le risque d'infection le plus élevé et le recours au dépistage le plus faible. Des résultats pouvant refléter des facteurs structurels d'inégalités d’accès aux soins en France et une moindre possibilité, pour les populations défavorisées, de bénéficier des mesures de protection contre l’infection.

Les personnes vivant dans les zones les plus défavorisées avaient un taux d’incidence et un taux de positivité plus élevé et un taux de dépistage plus faible que celles vivant dans les zones les moins défavorisées, avec des variations en fonction de la densité de population.

Dans les municipalités densément (>= 1 500 habitants/km2) et modérément peuplées (entre 300 et 1 500 habitants/km2, le taux d’incidence et de positivité d'infection au SRAS-CoV-2 dans les zones les plus défavorisés sur le plan social étaient plus élevés (respectivement 1·148 (IC à 95 % 1·138-1·158) et 1,283 (1·273-1.294) que dans les zones plus favorisées. Le taux de dépistage au SARS-CoV-2 dans les zones les plus défavorisés était moindre que dans les zones plus favorisées (0,905 (IC 95% 0·904 -0.907) ; avec une observation peu habituelle lors des études sur les ISS, lesquelles décrivent le plus souvent un gradient linéaire entre les quintiles : ici, nous observons un véritable décrochement entre le cinquième quintile (le plus défavorisé) et les quatre autres quintiles. Ce résultat montre dans les populations densément et modérément peuplées, que les 20 % de la population les plus défavorisés ont payé le plus lourd tribu face à la pandémie. 

Ces différences ne sont pas retrouvées dans les communes peu/très peu peuplées (< 300 habitants/km2). Le taux d'incidence et le taux de dépistage étaient plus faibles dans les quatre derniers quintiles de défavorisation que dans le premier quintile. Quant au taux de positivité, il est resté stable dans tous les quintiles.

Par ailleurs, concernant la dynamique hebdomadaire des trois indicateurs, nous avons constaté que lors des deuxième et troisième confinements (29 octobre au 14 décembre 2020 et du 3 avril au 2 mai 2021), les taux d'incidence et de positivité étaient plus élevés dans les quartiers les plus défavorisés, dans les communes modérément et densément peuplées. Dans les communes peu denses les résultats étaient plus contrastés :  les taux d’incidence et de positivité étaient plus élevés dans les quartiers les plus défavorisés en fin de confinement. Le taux de dépistage a fluctué pendant les deux confinements, quelle que soit la typologie de densité des communes. Notons cependant qu’il était plus élevé dans les quartiers les plus défavorisés des communes peu denses et modérément peuplées lors du troisième confinement mais plus élevé dans les quartiers favorisés des communes denses.

Quelles sont les principales implications en terme de santé publique ? Comment Santé publique France s’approprie-t-elle ses résultats ? Quelles sont les démarches ou actions à l’étude permettant de tenir compte de cette défavorisation et de lutter contre les ISS ?

Ces résultats peuvent s’expliquer par l’effet des principaux déterminants sociaux de la santé, comme les facteurs démographiques, les facteurs environnementaux et les facteurs socioéconomiques (conditions de logement, de revenu, d’emploi), qui jouent un rôle déterminant dans le risque de contamination par le SARS-Cov-2. Les personnes vivant dans des communautés densément peuplées vivent également souvent dans des logements surpeuplés en raison de la ségrégation socio-spatiale, et exercent plus souvent des métiers plus en contact avec la population et avec une moindre possibilité de télétravail et donc plus à risque, ce qui signifie qu'il leur était plus difficile de se protéger pendant les confinements.

Certaines populations sont ainsi exposées de manière extrême au risque d’infection et de ses conséquences en termes de morbidité, et sont moins protégées par les mesures collectives de protection (notamment le confinement). Ces résultats mettent l'accent sur le rôle des déterminants structurels de la santé, particulièrement prégnants lors de cette crise Covid-19, et sur l'importance de suivre les évolutions des indicateurs d’inégalités sociales au cours du temps lors de la mise en œuvre des politiques de prévention. Une démarche est en cours à Santé publique France pour intégrer de façon plus systématique les variables sociales dans les systèmes de surveillance et ainsi la thématique des inégalités sociales de santé. Intégrer les variables sociales permettra de mieux connaître le rôle des déterminants sociaux dans le fardeau des maladies.
L’objectif ainsi recherché est d’intégrer le bien-être des groupes sociaux défavorisés dans toute politique de santé publique, et d’orienter plus efficacement la recherche et les interventions en santé publique vers ces questions clés d’inégalités sociales. 

Dans cette optique de lutter contre la Covid-19 auprès des populations en grande précarité, Santé publique France a mis en place une démarche de mobilisation et de partage des connaissances (MobCo) impliquant plus de 120 chercheurs, acteurs de terrain et décideurs. L’objectif de cette démarche est de définir collectivement des approches adaptées et des pistes d’action, dont le dépistage et la vaccination contre la Covid-19. 
Cette démarche s’inscrit dans l’un des enjeux majeurs du programme de travail de Santé publique France, à savoir « Inégalités de santé et vulnérabilités territoriales ». Cet enjeu fait écho à la récente publication de l’Appel de Rio de Janeiro de IANPHI (International Association of National Public Health Institutes) sur le rôle des instituts nationaux de santé publique dans la lutte contre l’inéquité.

L’appel de Rio de Janiero, IANPHI et Santé publique France

La Déclaration de Rio de Janeiro de IANPHI (International Association of National Public Health Institutes), publiée récemment, place les instituts nationaux de santé publique au cœur de la lutte contre les inégalités en matière de santé. Ce texte, initié lors de la réunion annuelle 2021 de l'IANPHI à la Fondation Oswaldo Cruz, l'agence de santé publique du Brésil (d’où son nom), a fait l’objet d’un large partage avec ses membres, puis d’un examen par son conseil d'administration. 

« La période post-pandémique offrira une occasion unique de donner la priorité à l’objectif de réduction des inégalités en matière de santé, un objectif qui doit être partagé par toutes les agences nationales de santé publique sont, à cet égard, les acteurs majeurs ».

Les organisations membres de l'IANPHI y sont invités à placer la promotion de l'équité en santé au cœur de leur travail. Documenter les inégalités existantes par le biais d'une surveillance ou d'observatoires dédiés, mesurer les progrès et évaluer l’efficacité des interventions visant à réduire ces inégalités en santé, et soutenir leur mise en œuvre : telles sont les étapes à franchir pour gagner cette lutte.  Un appel qui s’adresse également aux décideurs et responsables politiques, afin qu’ils soutiennent la mise en œuvre et l’évaluation de ces interventions.

Cet appel fait écho à l’enjeu « inégalités de santé et vulnérabilités territoriales » du programme de travail de Santé publique France, qui assure le secrétariat scientifique de IANPHI.

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Références

Vandentorren S, Smaïli S, Chatignoux E, Maurel M, Alleaume C, Neufcourt N, et al. The effect of social deprivation on the dynamic of SARS-CoV-2 infection in France between May 2020 and April 2021.  Lancet Public Health 2022. https://doi.org/10.1016/S2468-2667(22)00007-X 

Commentaire de l’article: https://doi.org/10.1016/S2468-2667(22)00033-0 

1 Bajos N, Jusot F, Pailhé A, et al. When lockdown policies amplify social inequalities in COVID-19 infections: Evidence from a cross-sectional population-based survey in France. BMC Public Health, 12 April 2021, 2021. 

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