Impact sanitaire des envols de poussières autour des sites industriels d’Altéo (Bouches-du-Rhône)

Publié le 7 juillet 2022
Dans cet article

Contexte et chronologie des événements

Une usine de production d’alumine a été implantée en 1893 par la société Péchiney sur le territoire de la commune de Gardanne (Bouches-du-Rhône). Elle a été exploitée jusqu’en 2021 par la société Altéo. Rejetés en Méditerranée entre 1966 et 2006, les résidus industriels de cette usine ont été progressivement stockés sous forme de déchets solides à partir de 2006 (et en totalité depuis 2015) sur le site de stockage de Mange-Garri, à environ 2 km au nord-ouest de l’usine de production de Gardanne, sur la commune de Bouc-Bel-Air.

Dans ce contexte, et face à l’inquiétude des populations vivant à proximité des sites industriels, Santé publique France a été saisie à deux reprises en vue d’évaluer le risque sanitaire lié à l’exposition aux envols de poussières issus de l’usine et du site de stockage.

Saisine de 2015

En 2015, le site de Mange-Garri a fait l’objet d’une saisine de Santé publique France par l'Agence régionale de santé Provence-Alpes-Côte d’Azur, suite aux plaintes de riverains inquiets de possibles conséquences de l’activité du site de stockage sur leur santé. La cellule régionale de Santé publique France Paca-Corse a réalisé une étude afin de déterminer si les pathologies rapportées par les riverains (pathologies respiratoires, cancers) pouvaient être liées à l'exposition aux poussières émises par le site de stockage et si un suivi sanitaire de la population était nécessaire sur la zone impactée par le site d'Altéo.

Saisine de 2017

En 2017, Santé publique France était à nouveau saisie, cette fois par la Direction générale de la santé et la Direction générale du travail suite à la forte mobilisation des élus et des populations locales exprimant leur inquiétude relative à l’impact environnemental et sanitaire des envols de poussières autour du site de stockage de Mange-Garri et de l’usine de Gardanne. La question était d’étudier la pertinence et la faisabilité de mettre en place une investigation épidémiologique auprès des populations exposées à l'activité de ces deux sites, ainsi que des salariés de l’usine.

En réponse à cette saisine, Santé publique France, en concertation avec les parties prenantes locales, a mis en place deux études :

  • une étude des attentes et du contexte local afin d’aider à définir les futures études à mettre en place ;
  • une étude de mortalité pouvant apporter, dans un délai rapide, des premiers résultats sur des indicateurs sanitaires. Ces deux études ont été réalisées en lien avec un comité d’interface local composé de membres de la commission de suivi de site « Terre » d’Altéo : représentants de l’administration, des collectivités territoriales, de riverains et associations, des salariés, des exploitants et de personnes qualifiées. Il était présidé par le sous-préfet d’Aix-en-Provence. Ce comité a été consulté sur les projets de protocole et a permis d’échanger en toute transparence des informations sur les avancées des différents travaux et d’assurer la communication entre les parties prenantes locales.

Les travaux menés par Santé publique France s’inscrivent dans un cadre plus large dans lequel sont intervenus notamment l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) sur les émissions de poussières du centre de stockage de Mange-Garri pour une évaluation indépendante du risque sanitaire, dans le cadre de saisines du Ministère chargé de l’Environnement en mai 2015 et juin 2016.

Où en est-on aujourd’hui et quelles sont les nouvelles perspectives ?

En janvier 2021, l’usine de Gardanne a été rachetée par un nouvel entrepreneur. Ce dernier a décidé de cesser l’extraction d’alumine à partir de bauxite et de produire de l’alumine de spécialité à partir d’alumine importée. Cette décision aura à terme pour conséquences une baisse notable des rejets atmosphériques de l’usine et un arrêt de l’exploitation du site de Mange-Garri qui est en cours de végétalisation. Ces nouveaux éléments posent la question de la pertinence de mettre en place de nouvelles études sanitaires. Le comité d’experts en santé environnement et travail que met en place Santé publique France sera sollicité pour répondre à cette question.

A télécharger

Analyse des attentes et du contexte local autour des sites industriels d'Altéo Gardanne. Rapport d'analyse qualitative

En savoir plus

Les études mises en place

Etude d’impact sanitaire du site de stockage de Mange-Garri à Bouc-Bel-Air, Bouches-du-Rhône, 2015-2016

Contexte et objectifs

Cette étude a été réalisée suite à la saisine de Santé publique France par l'Agence régionale de santé de Provence-Alpes-Côte d'Azur (Paca) afin de déterminer si les pathologies rapportées par les plaignants pouvaient être liées à l'exposition aux poussières émises par le site de stockage et si un suivi sanitaire de la population était nécessaire sur la zone impactée par le site d'Altéo.

Résultats de l’étude

Parmi les plaignants, 3 personnes souffraient de pathologies toutes différentes, parfois rares, dont l'étiologie était inconnue ou d'origine multifactorielle. Les médecins de la commune n'ont pas rapporté avoir noté de pathologie spécifique ou en augmentation parmi leur patientèle, que ce soit des pathologies cancéreuses ou respiratoires. Les répondants au questionnaire prospectif, diffusé auprès des riverains du site, n'ont pas signalé de pathologies particulières. La situation était toutefois source de préoccupation et de gênes, particulièrement à cause des poussières. Ces dernières pouvaient être, selon certaines conditions météorologiques, la cause d'irritations oculaires ou respiratoires signalées par les plaignants et quelques répondants.

Au plan environnemental, les données qui ont pu être consultées démontraient que le site de stockage de Mange-Garri avait un impact sur son environnement proche. L'exposition de la population aux poussières était cependant plus importante sur la commune de Gardanne. Les évaluations réalisées par l'IRSN ont montré que le risque radiologique induit par l'installation était faible.

Conclusion

L'investigation n'a pas permis de confirmer l'existence d'un agrégat de pathologies non infectieuses dans cette zone. La situation locale, et en particulier les poussières dans l’atmosphère présentes dans certaines conditions météorologiques, était reconnue comme étant une source de préoccupations et de gênes pour les riverains du site. Au regard de ces résultats, il n'a pas été jugé pertinent d'approfondir la démarche d'investigation de cluster.

A télécharger : Impact sanitaire du site de stockage de Mange-Garri Bouc-Bel-Air, Bouches-du-Rhône, France

Etude des attentes et du contexte local, 2018

Contexte et objectifs

Cette étude a été réalisée suite à la saisine de Santé publique France par la Direction générale de la santé et la Direction générale du travail afin de décrire les représentations et les préoccupations des différentes parties prenantes locales, de recenser l’ensemble des attentes (environnement, santé, gestion) et de repérer les tensions éventuelles ou décalages de point de vue entre les différentes parties prenantes.

Elle a pris la forme d’une enquête qualitative réalisée à partir d’entretiens semi directifs menés auprès de différentes catégories d'acteurs locaux (représentants d’administrations de l’Etat, élus locaux, industriels, représentants des salariés, associations, représentants du monde de l’éducation, des professionnels de santé, journalistes et experts environnementaux) et de réunions de riverains.

Résultats de l’étude

L’analyse du contexte social a fait émerger deux principaux champs de préoccupation :

  • La dimension santé / environnement, plus marquée autour du centre de stockage de Mange-Garri depuis l'apport des déchets solides à partir de 2012.
  • La dimension économique en lien avec l’usine Altéo (crainte de suppression d’emplois et de dévalorisation des biens fonciers locaux).ne méfiance vis-à-vis de l’industriel, des représentants de l’Etat et des élus locaux a été exprimée par les associations de riverains ainsi qu’un manque d’informations sur les résultats des études, des contrôles réglementaires et des mesures prises par l’industriel.

Peu d’effets sanitaires étaient rapportés par la plupart des personnes interrogées, mais les riverains exprimaient leur inquiétude quant à la survenue possible de cancers en lien avec une exposition prolongée aux poussières.

Pour les professionnels de santé interrogés, l’état de santé de leurs patients ne présentait pas de caractéristiques spécifiques à ce secteur.

Pour la médecine du travail du site industriel, aucune maladie professionnelle liée à l’exposition et au contact avec l’alumine, la bauxite, la bauxaline et aux poussières produites par l’usine n’a été signalée.

La mise en place d’investigations épidémiologiques a été jugée positive par les personnes interrogées, même si beaucoup estiment qu’une relation causale avec les activités d’Altéo sera difficile à établir, compte tenu de la multiplicité des expositions et du caractère multifactoriel des maladies concernées.

Des gages de transparence et d’indépendance scientifique sont attendus par les représentants associatifs, les journalistes et certains riverains vis-à-vis de Santé publique France.

Conclusion

Cette étude a permis de mettre l’accent sur les actions prioritaires à mettre en œuvre par les pouvoirs publics en général :

  • Répondre aux interrogations, inquiétudes et incompréhensions de la population.
  • Adapter le contenu et la diffusion de l’information à destination du grand public, et des professionnels de santé concernant :
    • les résultats des études à composante environnementale ou sanitaire autour des sites, industriels d’Altéo,
    • les contrôles réglementaires et procédures mises en œuvre par les services de l’État,
    • les actions correctrices mises en place par l’industriel.
  • Prendre en compte les préoccupations de santé publique exprimées par certains professionnels de santé, les représentants associatifs et les riverains.
  • Faciliter le dialogue entre l’industriel, les élus locaux, les représentants de l’État, les associations et les riverains qui sont, pour certains, inquiets de la situation environnementale et de sa possible répercussion sur la santé des populations.

A télécharger :Rapport Analyse des attentes et du contexte local autour des sites industriels d’Altéo Gardanne

Etude de mortalité, 2018

Contexte et objectif

Cette étude a été réalisée suite à la saisine de Santé publique France par la Direction générale de la santé et la Direction générale du travail afin de comparer le risque de mortalité toutes causes hors morts violentes et pour certaines causes spécifiques de la population résidant dans les communes exposées aux émissions des sites d’Altéo à celui de la population du reste du Bassin minier de Provence (considérée comme non exposée), ainsi qu’à celui de la population de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca).

Les causes spécifiques (maladies de l’appareil respiratoire, maladies de l’appareil circulatoire, tumeurs malignes, maladies du système nerveux, néphropathies) en lien avéré ou suspecté avec une exposition aux polluants présents dans la zone exposée ont été étudiées.

Résultats

  • Sur la période 1968-2015, les résultats montraient dans la zone exposée aux sites industriels d’Altéo une mortalité globale supérieure à celle de la zone non exposée jusqu’à la période 1987-1995, chez les hommes comme chez les femmes. À partir des années 1990, les mortalités étaient comparables entre les deux zones et avec la région Paca.
  • Sur la décennie 2006-2015, pour la plupart des causes spécifiques de décès étudiées, il n’a pas été mis en évidence de différence significative de mortalité entre les zones exposée et non exposée, et par rapport à la région Paca. Sur cette période, le principal résultat était la surmortalité pour la maladie d’Alzheimer, observée chez les femmes uniquement, dans les zones exposée et non exposée par rapport à la région Paca, sans différence statistiquement significative si on compare les deux zones entre elles.
  • Il est important de rappeler que les études géographiques de mortalité ne permettent pas d’attribuer celle-ci à un ou des facteurs particuliers dont la pollution et en particulier celle émise par les sites d’Altéo.

Santé publique France se propose de renouveler cette étude dans un délai de cinq ans minimum.

A télécharger :Étude de mortalité autour des sites industriels d’Altéo-Gardanne

Autres études sur les sites Altéo des Bouches-du-Rhône

Expertises nationales

Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) :

Les résultats de la campagne de mesures mise en place fin 2015-début 2016, par le BRGM autour du site de Mange-Garri ont montré une influence du site de stockage sur la composition des sols à proximité direct du site (moins de 500 m), plus particulièrement dans la zone résidentielle à proximité immédiate à l’ouest du site et dans une zone de promenade située immédiatement au sud du site. L’analyse de la composition chimique des poussières fines et sédimentables montrait un impact du site de Mange-Garri mais également une influence de l’usine de Gardanne et d’autres sources locales de pollution (centrale thermique et cimenterie).

En savoir plus :

Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses)

Les résultats de l’évaluation des risques sanitaires menée au cours du 2e semestre 2016 par l’Anses ont conclu qu’un risque sanitaire ne pouvait être exclu en lien avec l’exposition à l’aluminium, à l’arsenic et au plomb dans les sols, mais qu’il n’était pas possible de discriminer la contribution spécifique, historique ou actuelle, de l’exploitation industrielle du site de stockage de Mange-Garri, et ce, au vu du contexte géologique particulier de la région, mais également en considérant les autres activités industrielles et les autres sources anthropiques locales.

En savoir plus :

Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)

L’IRSN a conclu, dans le cadre de ses expertises menées en 2015 et 2016, que l’enjeu radiologique associé au site de Mange-Garri était faible.

En savoir plus :

Expertises locales

Des organismes locaux ont également contribué à l’acquisition de connaissances. Ainsi, depuis sa création en 2007, l’Observatoire homme-milieu du bassin minier de Provence (OHM-BMP) a mené de nombreux programmes de recherche pluridisciplinaire sur ce territoire (caractérisation qualitative et quantitative des particules fines et sédimentables, perception de la qualité de l’air par les populations, prélèvements de sols et de végétaux dans les jardins potagers du bassin minier de Provence…).

La campagne de mesure menée par AtmoSud, association agréée pour la surveillance de la qualité de l’air de la région Paca, de mars 2017 à février 2018 a permis de montrer une influence de l’activité industrielle des sites d’Altéo sur l’origine des poussières fines et sédimentables à proximité des sites industriels mais aussi du trafic routier et ferroviaire. L’influence des sites industriels était plus marquée lors d’épisodes de vents forts. Les concentrations en particules restaient toutefois comparables à celles mesurées dans les agglomérations de la région.