Le rapport « Estimations nationales de l’incidence et de la mortalité par cancer en France métropolitaine entre 1990 et 2018 » offre une finesse d’interprétation venant renforcer considérablement la connaissance épidémiologique de ces pathologies. Fruit du partenariat entre Santé publique France, l’Institut national du cancer, le réseau des registres des cancers Francim et le service de Biostatistique-Bioinformatique des Hospices Civils de Lyon, il est actualisé tous les 5 ans et représente une étape essentielle dans la surveillance et l’observation épidémiologiques des cancers. Les informations de cette nouvelle édition contribuent à apprécier les actions préventives et curatives recommandées par les Plans cancer et constituent un point d’appui pour l’élaboration de la future stratégie décennale de lutte contre la maladie.
Sous-types de cancers et tendances par âge : de nouveaux indicateurs pour une surveillance épidémiologique renouvelée
Les estimations présentées dans ce rapport résultent d’une révision majeure de la méthodologie pour estimer l’incidence nationale. Elle s’appuie désormais sur les seules données des registres et utilise des modèles statistiques plus performants. Cette méthodologie permet ainsi d’estimer, pour la première fois, l’incidence pour 74 localisations de cancers contre 34 auparavant ; soit 27 tumeurs solides et 22 sous-types, 24 entités d’hémopathies malignes et comprend une entité « tous cancers ». Elle permet également de restituer des tendances selon l’âge. La mortalité est disponible pour 19 tumeurs solides, les lymphomes malins non hodgkiniens dans leur ensemble et l’entité « tous cancers ».
Ces éléments contribuent à approfondir considérablement les connaissances sur un très grand nombre de cancers aux causes, pronostics et thérapeutiques différents.
Dans le cas du cancer du poumon, les estimations réalisées pour la première fois par sous-types apporte un éclairage nouveau. En effet, si l’incidence de ce cancer est plutôt stable chez l’homme (-0,1 % par an sur la période 1990-2018), les données indiquent des évolutions différentes par sous-types L’incidence des adénocarcinomes progressent (+3,9 % par an), tandis que celles des carcinomes épidermoïdes et des cancers à petites cellules diminuent (-2,9 % par an et -0,9 % par an). Ces différences pourraient s’expliquer par la modification de la structure (introduction des filtres responsable d’une inhalation plus profonde) et de la composition des cigarettes (augmentation de la concentration en nitrosamines).
Cette nouvelle méthodologie permet d’obtenir pour la première fois des estimations sur les différentes localisations de cancers imputables à l’infection par le papillomavirus humain (HPV) - cancer du col de l’utérus, cancer de l’anus et dans une moindre mesure, oropharynx - et par tranche d’âge. Ainsi, si le cancer du col de l’utérus est globalement en baisse (-1,8 % par an), l’analyse par tranche d’âge montre à l’inverse un ralentissement de cette baisse voire une augmentation de l’incidence de ce cancer chez les femmes de 50 et 60 ans depuis 2010. Cela pourrait s’expliquer par des comportements sexuels plus à risque pour l’infection par HPV pour ces générations. De même l’incidence du cancer de l’anus, imputable en majorité au HPV, est en augmentation chez les femmes de 50 et 60 ans. Cette finesse des données va permettre de renforcer et mieux cibler les actions de prévention.
Principaux résultats tous cancers : l’écart entre les hommes et les femmes se réduit, défavorablement pour ces dernières
En 2018, on estime à 382 000, le nombre de nouveaux cas de cancer (54 % chez l’homme, 46 % chez la femme) et à 157 400, le nombre de décès par cancer (57 % chez l’homme, 43 % chez la femme).
L’incidence tous cancers confondus est stable chez l’homme (+0,1 % par an) alors qu’elle s’accroit chez la femme (+1,1 % par an) reflétant une augmentation du risque de cancer. L’incidence (+5,3 % par an) et la mortalité (+3,5 % par an) du cancer du poumon enregistre la plus forte progression chez la femme : une progression liée à l’augmentation du tabagisme.
La mortalité tous cancers confondus baisse, de manière plus prononcée chez l’homme (-1,8 % par an) que chez la femme (-0,8 % par an).
Principaux enseignements sur les tumeurs solides
Des cancers parmi les plus fréquents, aux facteurs de risques évitables progressent, sans baisse de la mortalité.
La progression des cancers aux facteurs de risques évitables plaide en faveur d’un renforcement de la prévention. La consommation excessive d’alcool et de tabac, la modification des comportements alimentaires et la prévalence croissante de l’obésité ou de l’hypertension artérielle pourraient expliquer :
- l’augmentation continue de l’incidence du cancer du pancréas (+3,8 % par an chez la femme et +2,7 % par an chez l’homme) et la hausse de la mortalité chez la femme de +1,2% par an ;
- l’augmentation de l’incidence du cancer du rein (+1,4 % par an chez la femme et +1,7 % par an chez l’homme) avec une tendance récente à l’augmentation de la mortalité chez l’homme.
L’incidence du mélanome cutané, lié aux expositions aux rayonnements ultraviolets (UV) naturels et artificiels, voit son augmentation plus marquée chez l’homme (+4,0 % par an) que chez la femme (+2,7 % par an) depuis 1990, aboutissant pour la première fois en 2018, à une incidence identique chez l’homme et chez la femme, avec dans le même temps une stagnation de la mortalité.
Des diagnostics plus précoces et des avancées thérapeutiques qui favorisent une baisse de la mortalité, notamment parmi les cancers les plus fréquents
Les modifications des pratiques médicales, la mise en place de dépistages organisés, la précocité des diagnostics ou encore les progrès thérapeutiques pourraient être à l’origine d’évolutions favorables pour certaines localisations de cancer dont :
- le cancer du sein, avec une mortalité en constante diminution depuis 1990 (-1,3 % par an) alors que son incidence augmente entre 2010-2018 (+0,6 % par an) ;
- le cancer colorectal, avec un recul conjoint de la mortalité et de l’incidence chez les hommes et de la mortalité seule chez les femmes ;
- le cancer de la prostate, avec une baisse de la mortalité (-3,7 % par an entre 2010 et 2015) et également de l’incidence (-3,5 % par an entre 2010 et 2015) ;
- le cancer du col de l’utérus avec une baisse de la mortalité (-2,1 % par an) et également de l’incidence (-1,8 % par an) qui toutefois n’est pas homogène dans le temps et est plus faible chez les femmes de 50 et 60 ans.
Une augmentation des hémopathies malignes dont les causes restent à explorer
En 2018, le nombre de nouveaux cas d'hémopathies malignes est estimé à 45 000 (environ 12 % des cancers diagnostiqués).
Leur incidence varie considérablement selon les sous-types. Cinq entités totalisent plus de 50 % des cas : le myélome multiple/plasmocytome, le lymphome diffus à grandes cellules B, les syndromes myélodysplasiques, la leucémie lymphoïde chronique/lymphome lymphocytique et la leucémie aiguë myéloïde.
L'incidence des hémopathies malignes est en augmentation dans les deux sexes (exceptée pour 3 sous types qui stagnent et 4 autres qui diminuent. Les modifications démographiques ou les changements de classification, ne suffisent pas à expliquer cette augmentation, ce qui laisse une large place pour la recherche étiologique sur ces maladies et les interactions entre facteurs environnementaux et génétiques.