Dans le cadre du programme national de biosurveillance, Santé publique France a conduit en 2014-2016 l’étude Esteban afin de quantifier l’exposition à un certain nombre de polluants environnementaux dans la population française âgée de 6 à 74 ans. La quantification des niveaux de risque associés aux imprégnations permet de prioriser les actions des pouvoirs publics pour les populations les plus exposées. L’article paru dans la revue Int J Hyg Environ Health présente les résultats de l’exposition de la population générale à des pesticides largement utilisés.
3 questions à Clémence Fillol, direction santé environnement et travail, Santé publique France
L’imprégnation de la population à certains pesticides est un des volets de l’étude Esteban. Quelles familles de pesticides ont été mesurés ? Pourquoi ce choix et quels sont les niveaux d’exposition chez les adultes et chez les enfants ?
Dans l’étude Esteban, cinq familles de pesticides ont été mesurées dans les urines ou dans le sérum des participants : organochlorés, organophosphorés, pyréthrinoïdes, carbamates et herbicides. Le choix de ces familles avait été réalisé par des experts grâce à une méthode de consensus Delphi qui avait permis d’identifier des critères de priorisation puis de hiérarchiser les biomarqueurs à analyser dans le programme national de biosurveillance. L’étude a ainsi fourni une description nationale des niveaux d’exposition à 70 biomarqueurs de pesticides pour la première fois chez les enfants. Elle a décrit également certains niveaux d’exposition à des biomarqueurs de pesticides pour la première fois chez les adultes. Esteban a mis par ailleurs en évidence un possible impact des réglementations existantes sur l'exposition des adultes aux pesticides organochlorés et organophosphorés en 2014-2016, les niveaux d’exposition ayant nettement diminué depuis l’étude précédente ENNS 2006-2007. Les concentrations en métabolites des pyréthrinoïdes sont, elles, restées stables (excepté les concentrations urinaires d’un métabolite : le Br2CA).
Votre étude a permis d'identifier certains facteurs d'exposition aux pesticides sur lesquels il est possible d'agir pour diminuer les expositions et ainsi réduire les risques. Pouvez-vous illustrer par quelques exemples ?
L'utilisation d'antiparasitaires sur les animaux domestiques, par exemple, était associée à une plus forte exposition aux pyréthrinoïdes chez les adultes et les enfants, comme la consommation de tabac chez les adultes. Nos résultats ont également montré que la consommation régulière de produits issus de l'agriculture biologique était associée à des concentrations plus faibles d'exposition aux pesticides, en particulier pour les métabolites des pyréthrinoïdes et certains composés organochlorés.
Quel a été l’apport du projet européen HBM4EU depuis la publication des résultats Esteban ? En quoi la participation de Santé publique France dans le projet européen PARC s’inscrit-il dans cet objectif de caractérisation des expositions pour l’action ?
Depuis la publication des résultats Esteban, certaines valeurs guides sanitaires pour la biosurveillance humaine ont été élaborées dans le cadre de l'Initiative européenne HBM4EU. Une valeur HBM-GV (human biomonitoring guidance value) dérivée pour la population générale (HBM-GVGenPop) représente la concentration d'une substance chimique ou de ses métabolites en-dessous de laquelle, selon les connaissances actuelles, il n'y a pas de risque attendu d'atteinte à la santé. Ainsi, la comparaison aux HBM-GV permet d’estimer que les concentrations urinaires des métabolites des pyréthrinoïdes étudiés étaient en majorité inférieures aux HBM-GVsGenPop actuelles, à l'exception du 3-PBA (métabolite des pesticides) chez 7 adultes âgés entre 44 et 67 ans. Chez les enfants âgés de 6 à 17 ans, respectivement 1 % et 10 % de l’échantillon Esteban présentait des niveaux de 3-PBA au-dessus des HBM-GVsGenPop actuelles de 22 μg/L et 6,4 μg/L dans l’urine selon les scénarios retenus alors que 99,6% des enfants étaient exposés.
La démarche valorisée dans cet article, en complément des résultats déjà disponibles, permet ainsi de souligner l’intérêt en terme d’évaluation des risques de pouvoir généraliser la production de telles valeurs guides sanitaires de manière à quantifier les niveaux de risque associés aux imprégnations et aider ainsi à prioriser les actions des pouvoirs publics pour les populations les plus exposées. Le nouveau partenariat européen pour l'évaluation des risques liés aux produits chimiques (PARC) vise notamment à aller plus loin dans l’harmonisation des pratiques de biosurveillance humaine en Europe et à poursuivre l’élaboration de nouvelles valeurs guides sanitaires.