EN

Évoluer vers une génération aléatoire de numéros de téléphone exclusivement mobiles : étude de l’impact à partir d’une enquête de santé française en population générale

Moving towards a single‑frame cell phone design in random digit dialing surveys: considerations from a French general population health survey. 

Publié le 14 juin 2022

Au cours des deux dernières décennies, les enquêtes téléphoniques basées sur la génération aléatoire de numéros de téléphone, qu’ils soient fixes ou mobiles, se sont multipliées tant en France qu’à l’international. Le fait de composer au hasard les numéros de téléphone permet d’interroger les foyers et personnes absents des annuaires téléphoniques. Parallèlement, la proportion de la population disposant d'un téléphone mobile a augmenté, et le téléphone fixe est de moins en moins utilisé. La communication se fait désormais facilement sur téléphone mobile et cela permet d’envisager une stratégie d’enquête utilisant uniquement des numéros de téléphone mobile. Pour Santé publique France, la question se pose spécifiquement pour l’enquête Baromètre. Ces enquêtes répétées en population générale, réalisées depuis 1992 par Santé publique France* , sont des sources d’information précieuses pour suivre l’évolution des comportements de santé des Français (voir l'encadré : Le Baromètre de Santé publique France). Un des enjeux majeurs pour ces enquêtes est de s’adapter afin de conserver une bonne qualité, alors que le suivi de tendances est au cœur des résultats attendus. Ainsi, une évolution de la méthode de ces enquêtes ne peut pas se faire sans une analyse d’impact.

Quel serait l’impact d’une évolution vers un Baromètre 100 % téléphone mobile en termes d’efficacité de l’enquête, de caractéristiques des répondants et d’estimation des comportements de santé ? L’article qui vient de paraître dans la section recherche de la revue BMC Medical Research Methodology [1] apporte des éléments de réponse. 

3 questions à Noémie Soullier, direction appui, traitements et analyse des données. Unité Enquêtes, Santé publique France

L’un des enjeux des enquêtes en population générale par génération aléatoire de numéros de téléphone est de couvrir l’ensemble des situations présentes dans la population, pour produire des résultats extrapolables à la population française. Pourrait-on se passer d’appeler des numéros de téléphone fixe pour passer au 100 % mobile ?

Les enquêtes par génération aléatoire de numéros de téléphone, telles que le Baromètre de Santé publique France, permettent de toucher la quasi-totalité de la population, puisque plus de 99 % de la population est désormais équipée d’un téléphone fixe ou mobile (Enquête TIC 2021, Insee) (1). Ces enquêtes sont assez simples à mettre en place car il s’agit de composer au hasard des numéros de téléphone. Au fil du temps, elles ont dû s’adapter à l’évolution des équipements et des usages du téléphone, notamment avec l’apparition et le développement du téléphone mobile. Ainsi au début des années 1990, les numéros de téléphone étaient tirés au sort dans l’annuaire ; puis des numéros de téléphone fixe ont été composés au hasard, avec une incrémentation permettant d’appeler des numéros qui n’étaient pas dans l’annuaire. Les téléphones mobiles ont été intégrés petit à petit et représentent désormais plus de la moitié des numéros appelés dans ce type d’enquête (60 % à 70 %). La question posée dans cette étude est la suivante : « peut-on se passer d’appeler des numéros de téléphone fixe pour passer au 100 % mobile ? », lorsque l’on souhaite mener une enquête en population générale en France métropolitaine. Afin d’y répondre, nous avons mené une analyse de l’impact de cette évolution, à la fois quant aux caractéristiques de la population interrogée et quant aux estimations des principaux indicateurs de santé (état de santé perçu, sédentarité, tabagisme, conduites suicidaires). L’analyse repose sur les données du Baromètre de Santé publique France 2017 : nous avons comparé les résultats obtenus sur l’ensemble de l’échantillon (≈25 000 personnes) constitué par un mélange de numéros fixes et mobiles (la méthode appliquée pour le Baromètre depuis 2014) et les résultats que l’on obtiendrait en utilisant uniquement les données recueillies par téléphone mobile (≈15 000 personnes). Cette analyse d’impact d’un changement dans la méthodologie d’enquête est d’autant plus importante pour les enquêtes répétées comme le Baromètre, qui étudient des évolutions, et pour lesquelles une rupture de série pourrait être préjudiciable aux interprétations. 

Quels sont les principaux avantages et inconvénients d’une telle transition vers des enquêtes en population générale à partir d’un tirage au sort exclusivement de numéros de téléphone mobile ?

Enquêter sur téléphone mobile présente plusieurs avantages. Premièrement, c’est un équipement personnel dans la plupart des cas : interroger l’utilisateur principal du numéro tiré au sort revient donc la plupart du temps à interroger la personne qui décroche. A contrario, un numéro de téléphone fixe correspond à un foyer et un tirage au sort doit être réalisé pour interroger une personne au sein du foyer. Appeler un numéro de mobile permet donc de réduire la durée de l’entretien puisqu’on évite cette phase de sélection (environ 2 minutes) et également d’augmenter la précision des estimations puisque le plan de sondage est alors à un seul degré (contre deux degrés sur téléphone fixe). Par ailleurs, le nombre d’appels nécessaires pour interroger une personne est plus faible sur un mobile, ce qui permet de réaliser le terrain d’enquête plus rapidement : en moyenne, il faut tirer au sort et appeler 6 numéros de téléphone mobile pour obtenir une interview contre 16 numéros sur téléphone fixe. Cette différence importante est surtout due à une proportion plus importante de numéros inéligibles (faux numéros, entreprises…) sur téléphone fixe. Enfin, sur téléphone mobile, la personne choisit où elle décroche et le lieu dans lequel elle continue l’entretien ; cela peut permettre plus de confidentialité et une plus grande sincérité des réponses.

L’inconvénient des numéros de téléphone mobile est qu’on en retrouve très peu (1 %) dans l’annuaire ; on ne peut alors pas envoyer de lettre-annonce aux personnes pour les prévenir de l’appel de l’enquêteur. Cette étape d’information en amont est faite systématiquement pour les numéros de téléphone figurant dans les annuaires et permet de favoriser la participation des personnes. Cependant, cette limite n’est pas spécifique aux téléphones mobiles, puisque moins de 10 % des numéros de téléphone fixe sont retrouvés dans l’annuaire. Un autre inconvénient lorsqu’on appelle sur un téléphone mobile est que le numéro s’affiche et la personne peut alors décider de ne pas répondre s’agissant d’un numéro inconnu. Ainsi, en 2021, 68 % des personnes possédant un téléphone mobile déclarent ne répondre que lorsqu’ils connaissent le numéro appelant ; c’est le cas de 48 % des possesseurs de téléphone fixe qui filtrent systématiquement les appels (Enquête TIC 2021, Insee) (1).

En quoi cette question de méthodologie est-elle importante pour une agence comme Santé publique France ?

L’article montre qu’enquêter uniquement des numéros de téléphone mobile permet de toucher toutes les franges de la population et que la répartition de l’échantillon des répondants serait aussi proche de la structure de la population qu’avec une enquête incluant 60 % de mobiles et 40 % de fixes, comme c’est le cas du Baromètre de Santé publique France 2017. Nous observons quelques différences qui sont toutefois à relever : le 100 % mobile permet de toucher plus facilement les populations jeunes (moins de 35 ans), diplômées (Baccalauréat ou plus) et urbaines, et à l’inverse plus difficilement les personnes âgées (65-75 ans), les personnes peu diplômées et les personnes vivant en zones rurales.

Concernant les estimations des comportements de santé, celles-ci sont similaires entre les deux types d’enquête (100 % mobile ou 60 % mobile/40 % fixe). Par exemple, la proportion de personnes se déclarant limitées dans les activités quotidiennes est estimée à 21,6 % en 60 % mobile/40 %fixe et 21,1 % en 100 % mobile, ou encore la proportion de personnes sédentaires est respectivement estimée à 8,7 % et 8,9 %. Ainsi, passer à une enquête 100 % mobile ne modifierait pas radicalement les messages de santé associés. Il existe cependant quelques réserves : l’estimation du tabagisme quotidien est plus élevée dans l’enquête 100 % mobile (+0,6 point de pourcentage pour l’ensemble de la population, +1,0 point parmi les 18-30 ans et +1,1 point parmi les 60-75 ans) ; l’ampleur de la différence reste mesurée, mais correspond néanmoins à l’évolution qui peut être observée d’une année sur l’autre pour cet indicateur. Autrement dit, cette différence peut alors masquer une évolution favorable ou défavorable en termes de comportement de santé. 

Les résultats de notre étude nous permettent d’envisager des enquêtes par génération aléatoire 100 % mobile pour de prochaines enquêtes de l’agence : nous avons montré que cela permettait d’obtenir un échantillon de répondants dont la structure est proche de celle de la population et des estimations des comportements de santé similaires avec une meilleure précision. C’est une solution plus efficace qui pourrait être privilégiée pour de nouvelles enquêtes, en particulier auprès d’un public jeune. Quel que soit l’équipement sur lequel on appelle, l’important dans ce type d’enquête est le protocole d’appels qui doit avoir une bonne insistance (de nombreux appels à des créneaux horaires variés) et ainsi permettre de compter parmi les répondants des personnes difficiles à joindre ou moins enclines à répondre. Ces personnes, par exemple celles qui acceptent de participer après avoir une première fois raccroché avant que l’enquêteur ait pu présenter l’enquête, peuvent être moins sensibilisées aux messages de santé, par exemple elles ont moins souvent entendu parler de la campagne Mois sans Tabac comme le montrent les résultats du Baromètre de Santé publique France 2019 (2). C’est pourquoi il est important de conjuguer qualité de l’échantillonnage et du protocole : c’est ce qui assure la qualité de l’enquête et des estimations, et qui permet de bien représenter l’ensemble des situations.

Le Baromètre de Santé publique France

L’objectif premier du Baromètre de Santé publique France est de mieux connaître et comprendre les attitudes et comportements de santé des personnes résidant en France afin de bâtir des interventions légitimes et efficaces. Cette enquête ne cherche pas à proprement parler à mesurer l’état de santé de la population en tant que tel, mais de fait, les représentations et pratiques de santé étudiées déterminent pour partie cet état.

Depuis 30 ans, ces enquêtes répétées visent à suivre les principaux comportements, attitudes et perceptions liés aux prises de risques et à l’état de santé de la population résidant en France : tabagisme, alcoolisation, consommations de drogues illicites, pratiques vaccinales, sexualité, dépistage des cancers, pratique d’une activité physique, nutrition, qualité de vie, sommeil, accidents, santé mentale, etc.

Elles reposent sur des échantillons aléatoires de numéros de téléphone fixe et mobile, ainsi que sur un protocole d’appels poussé visant à maximiser la participation et ainsi à représenter l’ensemble des situations existantes dans la population. Les données sont collectées via un questionnaire passé au téléphone par des enquêteurs à l’aide du système d’interview par téléphone assistée par ordinateur. Chaque enquête permet d’obtenir un « cliché » à un instant t d’un état sanitaire donné. Sur deux décennies, la méthode utilisée a constamment évolué pour s’adapter aux contraintes techniques et administratives imposées par la fin du monopole national des télécommunications, puis par la diversification des équipements et des usages téléphoniques.

 *Menées par le Comité français d'éducation pour la santé (CFES) entre 1992 et 2001, puis par l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes) entre 2002 et 2016, année de la création de Santé publique France.

[1] Noémie Soullier, Stéphane Legleye, and Jean‑Baptiste Richard. Moving towards a single‑frame cell phone design in random digit dialing surveys: considerations from a French general population health survey. BMC Medical Research Methodology (2022) 22.94

Autres références citées :

(1) L’usage des technologies de l'information et de la communication par les ménages entre 2009 et 2021. Enquêtes sur les TIC auprès des ménages - Insee Résultats. INSEE FOCUS. No 259. Paru le : 24/01/2022.

(2) Soullier N, Richard JB, Gautier A. Baromètre de Santé publique France 2019. Méthode. Saint‑Maurice : Santé publique France, 2021 : 14 p

Le Baromètre de Santé de santé publique France

Les Baromètres : un observatoire des comportements des Français pour orienter les politiques de prévention et d’information de la population.