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Inéquités sociales et environnementales en France continentale : une analyse de l’exposition à la chaleur, à la pollution de l’air et au manque de végétation

Environmental and social inequities in continental France: an analysis of exposure to heat, air pollution, and lack of vegetation

Publié le 19 février 2024

L’exposition à des facteurs de risques environnementaux tels que la chaleur, à la pollution de l’air ou le bénéfice lié au développement des espaces végétalisés sont des déterminants majeurs de la santé. Ces expositions dépendent du contexte géographique (zones rurales, urbaines, artificialisation des sols) et sont liées entre elles par des mécanismes physiques complexes (par exemple, la végétation modifie la pollution de l’air et la température, et réciproquement). Elles peuvent également avoir des effets synergiques sur la santé. La chaleur et la pollution de l’air sont associées à un risque accru de mortalité, de morbidité, et d’effets délétères sur la santé périnatale. À l’inverse, la présence de végétation réduit le risque de mortalité, et est associée positivement à la santé périnatale. Les populations les plus défavorisées qui sont plus exposées à ces risques et bénéficient structurellement moins d’espaces végétalisés sont plus fortement touchées, conduisant à des inégalités environnementales et sociales de santé.

La réduction de l’exposition à la chaleur et à la pollution de l’air, et le développement d’espaces végétalisés sont des interventions porteuses de bénéfices sanitaires. Elles s’inscrivent dans une démarche de promotion d’environnements favorables à la santé, adaptés au changement climatique, protégeant la biodiversité et facilitant la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

La connaissance de ces expositions, et le croisement avec des données sociales sont une étape indispensable afin d’identifier et d’agir pour les zones cumulant expositions délétères multiples et défaveur sociale. L’étude réalisée par Santé publique France et l’Inserm, publiée ce mois-ci dans la revue J Expo Sci Environ Epidemiol*, a étudié au niveau national et à une échelle géographique fine, le cumul de l’exposition à la chaleur, à la pollution de l’air, au manque de végétation et à la défaveur sociale de 2000 à 2018. Ce travail de caractérisation du territoire continental français permet de cibler les zones et les populations les plus à risque et ainsi prioritaire pour le déploiement d’interventions.

3 questions à : Lucie Adélaïde**, Direction Santé Environnement et Travail, Santé publique France

Portrait de Lucie Adélaïde

Parmi les trois facteurs environnementaux étudiés – chaleur, pollution de l’air et végétation –, les effets de la végétation restent peu décrits. En quoi l’exposition à la végétation est-elle bénéfique pour la santé et que sait-on de l’effet synergique de ces trois facteurs sur la santé ?

L’exposition à la végétation a de multiples effets bénéfiques sur la santé. De nombreuses études mettent en évidence une meilleure santé mentale, cardiovasculaire, périnatale... pour les personnes vivant dans des zones plus végétalisées. Ainsi, le Réseau français des Villes-Santé de l’OMS considère que les espaces verts urbains sont un outil de promotion de la santé et de l’équité.

Les mécanismes par lesquels la végétation joue sur la santé ne sont pas encore totalement connus. Trois voies d’actions majoritaires sont identifiées : 

  1. La réduction des expositions à des facteurs de stress environnementaux : pollution de l’air, chaleur, bruit…
  2. La participation au développement des capacités, en facilitant l’activité physique, le contact social…
  3. Le rétablissement des aptitudes par la restauration psychologique et la réduction du stress.

Dans une logique « Une seule santé », on peut ajouter un 4ème axe qui est la protection de la biodiversité.

La capacité à réduire la chaleur, via l’ombrage et l’évapotranspiration, fait que la végétation est désormais un outil central des politiques d’adaptation au changement climatique. 

Les effets de la chaleur, de la pollution de l’air et de la végétation sur la santé sont souvent étudiés de manière indépendante. Pourtant, l’interconnexion existante entre chaleur, végétation et pollution de l’air pose la question des potentiels effets synergiques sur la santé qui restent peu connus et peu investigués. 

Une première étape pour l’étude de ces effets combinés est la description croisée de ces trois expositions à fine échelle, sur une longue période de temps et sur l’ensemble du territoire national, ce qui n’avait pas été réalisé jusqu’à présent. Pour ce faire, nous avons créé des indicateurs relatifs qui sont comparables sur l’ensemble des territoires. Cela permet de prendre en compte la diversité des climats et des végétations en France, et de s’affranchir de la difficulté d’utiliser des valeurs de température ou de NDVI (indice satellitaire mesurant l’activité chlorophyllienne) absolues qui sont difficilement comparables entre territoires.

La définition de ces expositions nous a permis d’identifier des points noirs environnementaux (hotspots) représentant les zones cumulant les plus fortes surexpositions à la chaleur, à la pollution de l’air et au manque de végétation et d’étudier leur association avec la défaveur sociale.

Quelle est l’évolution des expositions étudiées en France continentale entre 2000 et 2018 ? Quelles associations avez-vous pu mettre en évidence entre les points noirs environnementaux (hotspots) et la défaveur sociale ?

Cette étude met en avant une surexposition à la chaleur plus importante sur la période 2015-2018 par rapport à la période 2000-2014, ce qui est cohérent avec les tendances climatiques observées en France. Concernant la pollution de l’air ambiant, bien que la qualité de l’air se soit améliorée entre 2000 et 2018 pour la majorité des polluants, la plupart des zones urbaines étudiées restaient au-dessus des valeurs guides de l’OMS de 2021 en matière de qualité de l’air en 2018. Par exemple, 99,9 % des zones urbaines avaient des concentrations en particules fines (PM2.5) au-delà des valeurs guides. En moyenne, 7 % des zones étudiées cumulaient les plus fortes surexpositions pour les trois facteurs étudiés (points noirs environnementaux). Ce pourcentage était similaire en zones rurales et en zones urbaines. 

Enfin, les zones urbaines les plus défavorisées étaient plus à risque d’être des points noirs environnementaux. Ces résultats ne sont pas observés en zone rurale, ce qui peut probablement être expliqué par une distribution de la défaveur plus hétérogène et des échelles spatiales moins fines qu’en zone urbaine.

Image illustrative

Source : J Expo Sci Environ Epidemiol - Conception : Lucie Adelaïde

La caractérisation du fardeau socio-économique et environnemental des populations à une échelle fine met en lumière la problématique de la justice environnementale en lien avec les questions de santé publique. Cette connaissance est essentielle pour construire des stratégies d’adaptation et politiques d’urbanisme. En quoi vos résultats vont-ils alimenter les plans nationaux en vigueur ? Des pistes pour des actions spécifiques au niveau des territoires ?

En explorant le cumul d’exposition à la chaleur, au manque de végétation et à la pollution de l’air à l’échelle nationale et en lien avec la défaveur sociale, nos résultats répondent aux stratégies mises en place dans le 2ème plan d’adaptation au changement climatique et le 4ème plan national en santé environnement pour la prise en compte et l’intégration des inégalités sociales dans les actions en santé environnementale. Cette étude invite les acteurs locaux à s’emparer de la question de la justice environnementale dans leur politique d’adaptation en leur proposant des outils de comparaisons inter-territoires à une échelle spatiale fine. Cela pourrait, par exemple, permettre le ciblage prioritaire de certains territoires cumulant de plus fortes expositions et une défaveur plus importante tout en prenant en compte les spécificités et contextes locaux.

Grâce à la prochaine mise à disposition des données sur data.gouv.fr, les indicateurs d’exposition environnementale construits dans le cadre de cette étude pourront également être utilisé pour étudier les effets combinés de la température, de la pollution de l’air et la végétation sur la santé, en lien avec les inégalités sociales. Par exemple, nous étudions les effets de la chaleur, des co-expositions (pollution de l’air, végétation) et de la position sociale sur la santé périnatale, enjeu majeur de santé publique. 

Il est également important de mentionner que les départements et régions d’outre-mer (DROM) n’ont pas pu être intégrés dans cette étude car les données nécessaires n’étaient pas disponibles, ces territoires étant pourtant particulièrement vulnérables au changement climatique. Des travaux sont en cours pour évaluer la pertinence et la faisabilité (disponibilité et accès aux données environnementales...) d’étendre cette étude aux DROM. 

Ces recherches répondent au besoin de développement de connaissances pour la mise en œuvre d’une adaptation au changement climatique équitable et juste.

* La version du manuscrit soumise à publication (non révisée par les pairs) est disponible en open access sur HAL : https://hal.science/hal-04444139

** Ces travaux ont été menés dans le cadre d’une thèse financée par Santé publique France, codirigée par Santé publique France et l’Inserm et associée au Réseau doctoral en santé publique coordonné par l’École des hautes études en santé publique (EHESP).

Open data et mise à disposition de données 

L’ensemble des données d’expositions obtenues à l’échelle de l’IRIS et des communes et analysées dans le cadre de cette étude est mis à disposition en open data.

Elles peuvent également être obtenues sur demande auprès des auteures.

Ces données à l’échelle de la commune et de l’IRIS ont été calculées à partir de données à la maille (200 m² à 4 km²) issues de modèles d’expositions innovants et couvrant l’ensemble du territoire (1-3). Ces données sont disponibles sur demande auprès des auteurs (johanna.lepeule@univ-grenoble-alpes.fr pour les données de PM et de température).

  1. Hough, et al. Gaussian Markov Random Fields Improve Ensemble Predictions of Daily 1 km PM2.5 and PM10 across France. Atmospheric Environment (2021). .
  2. Hough, et al. A Multi-Resolution Air Temperature Model for France from MODIS and Landsat Thermal Data. Environmental Research (2020).
  3. Les données de NO2 et O3 ont été mises à disposition par l’Ineris.

En savoir plus sur les inégalités sociales de santé et l’exposition à la chaleur :