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Prévalence et incidence des formes précoces de démence et comorbidités associées : une étude à partir du système national des données de santé

Prevalence and incidence of young onset dementia and associations with comorbidities: A study of data from the French national health data system.

Publié le 16 novembre 2021

La démence, dont la maladie d’Alzheimer est la cause la plus fréquente, est un enjeu de santé publique compte-tenu du vieillissement de la population. Si la démence concerne en majorité les personnes âgées, voire très âgées, il existe des formes précoces pouvant survenir avant l’âge de 65 ans. On estime que de 6 à 10 % des cas de démence surviennent entre 60 et 65 ans.

Ces démences à début précoce (en anglais, young-onset dementia - YOD) se caractérisent par une plus grande fréquence de symptômes atypiques que les formes survenant aux âges plus avancés. Les troubles du comportement (psychose, troubles de l’humeur…) sont souvent au premier plan alors que les troubles cognitifs ne sont pas systématiquement rapportés. Les conséquences personnelles, familiales et sociales de ces démences précoces sont dévastatrices. Les personnes atteintes sont le plus souvent en âge de travailler et leur maintien en emploi est rapidement remis en question.

Il est important de pouvoir quantifier le poids de cette pathologie afin d’adapter le système à la prise en charge médico-sociale spécifique de ces formes de démences précoces. Peu de données sont actuellement disponibles sur cette pathologie chez les sujets jeunes en France, et les facteurs de risque restent largement méconnus. 

L’article qui vient de paraître dans la revue PLoS Med1 présente les premières estimations nationales de l’incidence et de la prévalence de cette pathologie et apportent un éclairage utile sur les comorbidités. 

3 questions à Laure Carcaillon-Bentata, Santé publique France et Alexis Elbaz, Inserm

Alexis Elbaz
Laure Carcaillon

La connaissance du poids des maladies est importante pour l’organisation des soins appropriés. Que nous apporte votre étude sur le poids de la démence à début précoce en France ?

L’épidémiologie de la démence chez les sujets jeunes reste à ce jour peu documentée du fait du caractère rare de cette pathologie. Des données issues de registres ou d’études en population ont permis d’obtenir de premières estimations de sa fréquence, mais le manque de puissance statistique de ces études ne permet pas d’en savoir plus. L’exploitation, de plus en plus fréquente en épidémiologie, des données du système national des données de santé (SNDS) a ouvert des perspectives très intéressantes pour l’étude des maladies rares. En France, ces données concernent l’ensemble de la population couverte par un régime d’assurance maladie, soit 98 % de la population française. 

Des travaux préliminaires à partir des données du SNDS soulignaient le potentiel de cette source de données pour estimer la prévalence de la maladie d’Alzheimer et des autres démences chez les sujets jeunes. En effet, si ces données sous-estiment largement la prévalence chez les sujets âgés, la bonne adéquation avec les fréquences attendues chez les individus de moins de 65 ans est probablement en partie liée à la gravité de la maladie à un âge jeune conduisant ces malades à entrer en contact avec le système de soins. 

Dans l’étude qui vient de paraître, réalisée à partir du SNDS, la prévalence et l'incidence de la démence chez les personnes âgées de 40 à 64 ans ont été estimées, par âge et selon le sexe.

Les taux standardisés de prévalence et d'incidence étaient respectivement de 109,7/100 000 et 24,4/100 000 personnes-années. Appliqués à la population générale, ces taux permettent d’estimer, le nombre total de cas de démences précoces à 24 000 personnes en France en 2016 et le nombre de cas incidents à 5 300. La prévalence et l’incidence augmentaient avec l’âge et étaient plus élevées (de respectivement 33 % et 39 %) chez les hommes que chez les femmes.

Ce travail permet de fournir les premières estimations robustes de la fréquence de la démence avant 65 ans en France. Ces résultats sont en accord avec ceux obtenus dans une méta-analyse récente* à partir de données internationales qui rapporte une prévalence standardisée sur l'âge de 119,0 pour 100 000 habitants, avec un poids moindre dans les pays à faible revenu et les tranches d'âge plus jeunes.

Comment s’explique cette différence entre les hommes et les femmes ? Le SNDS permet-il d’approcher la question des facteurs de risque et des comorbidités ?

Comme nous l’avons vu, très peu d’études se sont intéressées aux facteurs de risque de cette maladie. Le recours au SNDS nous a permis d’étudier la contribution de nombreuses comorbidités à l'incidence de la démence chez les sujets jeunes. Face à cette incidence plus importante de la démence chez les hommes que chez les femmes, différents facteurs pourraient contribuer à expliquer cette différence : une association entre la démence et certaines comorbidités plus fréquentes chez les hommes autour de la mi-vie, ou encore la protection hormonale conférée par les œstrogènes vis-à-vis du risque de démence chez les femmes avant la ménopause. Nous nous sommes intéressés plus particulièrement au rôle des comorbidités dans les différences d’incidence observées entre les hommes et les femmes.

À partir des connaissances acquises dans le contexte des démences en général, nous avons choisi d’étudier, en tant que facteur de risque, les maladies cardio- et cérébro- vasculaires et leurs traitements, les troubles métaboliques (diabète, obésité morbide), les pathologies psychiatriques, les traitements antipsychotiques, les autres maladies neurodégénératives (sclérose en plaques, épilepsie, maladie de Parkinson) ainsi que les antécédents de traumatismes crâniens.

Globalement, nous avons trouvé des associations fortes et significatives entre l’ensemble des pathologies et traitement étudiés (sauf les traitements antihypertensifs) et l’incidence de la maladie. Les maladies cardio-cérébro-vasculaires, neurologiques, psychiatriques et les lésions cérébrales traumatiques expliquaient plus de 55 % de la différence d'incidence entre les hommes et les femmes.

Ces résultats montrent la contribution importante des maladies cardio- et neuro-vasculaires, métaboliques, neurologiques (autres que la démence), psychiatriques et des lésions cérébrales traumatiques dans les différences d’incidence observées entre les hommes et les femmes. La fréquence plus élevée de la démence chez les hommes mérite d'être étudiée plus en détail afin de clarifier le rôle des facteurs de risque et des comorbidités associées au sexe ainsi que les différences d'accès aux soins selon le sexe.

Ces résultats montrent l’intérêt d’agir le plus tôt possible avant la survenue de la maladie et apportent des leviers pour l’action. Quelles sont les perspectives en termes de prévention et de surveillance de la démence précoce en France ?

Nos résultats suggèrent que les approches préventives ciblant à mi-vie (40-55 ans) les facteurs de risque cardiovasculaires, les troubles liés aux addictions, ainsi que la prévention et la prise en charge des lésions cérébrales traumatiques, pourraient être étudiées en tant que stratégies visant à réduire ou à retarder l’incidence de la démence chez les sujets jeunes. Ils peuvent être mis en regard des recommandations du Haut Conseil de la santé publique dans leur rapport « Prévention de la maladie d’Alzheimer et des maladies apparentées » soulignant l’intérêt de mettre en place des actions de prévention primaire des démences liées à l’âge dès la mi-vie ; à ce titre, la prévention des maladies cardio- et neurovasculaires constitue un axe majeur. 

À Santé publique France, une nouvelle approche de prévention et promotion de la santé « Agir à mi- vie pour une avancée en âge en santé » est en cours de déploiement dans l’objectif de réduire le risque de perte d’autonomie lié à l’accumulation des maladies chroniques. La philosophie de cette approche est de promouvoir des comportements et environnements favorables à la santé, permettant de réduire le poids des maladies chroniques et de favoriser un vieillissement en bonne santé en agissant auprès des individus dès la mi-vie. La nouveauté de cette stratégie, qui vient en complément des programmes thématiques de l’Agence (nutrition, tabac, alcool…), est de proposer une approche combinée, agissant sur plusieurs déterminants simultanément pour un effet synergique positif sur la santé.

En parallèle des actions de prévention, la surveillance épidémiologique de la démence doit se poursuivre pour permettre d’anticiper le poids de cette pathologie et d’organiser en conséquences les systèmes de santé et médico-sociaux. En France, les données de référence pour l’étude de la démence liée à l’âge issues de cohortes populationnelles (Paquid, Trois-cités, AMI), ne permettent plus, de mettre à jour les indicateurs de fréquence. La cohorte Constances, dont les données sur la démence seront disponibles d’ici quelques années, permettra d’alimenter la recherche dans ce champ. Le SNDS et l’appariement de cohortes à ce système d’information représente la meilleure opportunité pour continuer à surveiller cette pathologie. Un projet de développement d’un nouvel algorithme pour repérer les cas de démence chez les plus âgés utilisant les données appariées de l’étude des Trois-cités avec le SNDS est en cours à Santé publique France et les premiers résultats sont attendus dans l’année à venir. Enfin, l’intégration dans le SNDS de la Banque Nationale Alzheimer (BNA), constituée de la remontée exhaustive d’informations sur tous les patients vus dans des centres mémoire en France, constitue un enjeu attendu pour la surveillance et l’épidémiologie des démences.

1 Carcaillon-Bentata L, Quintin C, Boussac-Zarebska M, Elbaz A (2021) Prevalence and incidence of young onset dementia and associations with comorbidities: A study of data from the French national health data system. PLoS Med 18(9): e1003801. https://doi.org/10.1371/journal.pmed.1003801 

* Hendriks S, Peetoom K, Bakker C, van der Flier WM, Papma JM, Koopmans R, Verhey FRJ, de Vugt M, Köhler S; Young-Onset Dementia Epidemiology Study Group, Withall A, Parlevliet JL, Uysal-Bozkir Ö, Gibson RC, Neita SM, Nielsen TR, Salem LC, Nyberg J, Lopes MA, Dominguez JC, De Guzman MF, Egeberg A, Radford K, Broe T, Subramaniam M, Abdin E, Bruni AC, Di Lorenzo R, Smith K, Flicker L, Mol MO, Basta M, Yu D, Masika G, Petersen MS, Ruano L. Global Prevalence of Young-Onset Dementia: A Systematic Review and Meta-analysis. JAMA Neurol. 2021 Sep 1;78(9):1080-1090. doi: 10.1001/jamaneurol.2021.2161. PMID: 34279544; PMCID: PMC8290331. https://www.hcsp.fr/Explore.cgi/avisrapportsdomaine?clefr=645