Investigation d’une épidémie nationale de Salmonella Dublin associée à une consommation de fromages au lait cru, France, 2015 à 2016

Publié le 18 juin 2019

Le 18 janvier 2016, le Centre national de référence (CNR) des Escherichia coli, Shigella et Salmonella rapportait à Santé publique France un excès d’infections à Salmonella enterica sérotype Dublin avec 37 isolats identifiés entre mi-novembre 2015 et mi-janvier 2016 contre une dizaine sur la même période lors des deux années précédentes. 
Face à ce signal, une équipe multidisciplinaire regroupant Santé publique France, le CNR, l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) et la Direction générale de l’alimentation (DGAL) a été mise en place pour mener des investigations épidémiologiques, microbiologiques et alimentaires afin de confirmer l’épidémie, identifier la source et proposer des mesures de contrôle appropriées.

L’article qui détaille cette investigation et qui vient d’être publié dans Eurosurveillance par Santé publique France et ses partenaires décrit l’originalité de cette investigation multidisciplinaire, non seulement sur les techniques microbiologiques utilisées, avec l’utilisation de deux méthodes de sous-typage, mais également sur le plan des méthodes épidémiologiques mises en œuvre, avec pour l’étude cas-témoins le recrutement de témoins à partir de la cohorte en ligne GrippeNet.

3 questions à Aymeric Ung*, Santé publique France​

L’UNE DES MISSIONS DE SANTÉ PUBLIQUE FRANCE EST LA SURVEILLANCE DU RISQUE INFECTIEUX D’ORIGINE ALIMENTAIRE CONTRIBUANT À LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE. EN QUOI CETTE INVESTIGATION D’ÉPIDÉMIE À SALMONELLA ENTERICA DUBLIN, RÉALISÉE AVEC DE NOMBREUX PARTENAIRES, DIFFÈRE-T-ELLE DES AUTRES INVESTIGATIONS DE CES DERNIÈRES ANNÉES METTANT EN CAUSE CET AGENT PATHOGÈNE ?

En France métropolitaine entre le 17 novembre 2015 et le 11 mars 2016, 83 cas avec une infection à Salmonella Dublin ont été identifiés par le CNR ce qui fait de cette épidémie de SalmonellaDublin une des plus importantes en France de ces dernières années.
Salmonella Dublin est un sérotype de salmonelle particulièrement invasif chez l’homme et plus fréquemment responsable de pathologies sévères et de taux de mortalité plus importants comparé aux autres sérotypes de salmonelle. Salmonella Dublin peut être isolé chez les bovins, avec pour vecteur typique de transmission dans les intoxications alimentaires, le lait cru et les fromages au lait cru.
Cette investigation a été novatrice à au moins deux titres. Au niveau microbiologique, le CNR a utilisé deux méthodes. La première, le Multilocus variable-number tandem repeat analysis(MLVA), avait déjà été utilisée dans de précédentes investigations d’intoxications alimentaires. La seconde, le Whole genome sequencing (WGS), a été utilisée pour la première fois pour cette épidémie d’infections à Salmonella Dublin et a permis de mieux discriminer les clusters de cas par rapport au MLVA. L’utilisation du WGS peut faciliter la caractérisation du lien entre les cas humains et les sources potentielles de contamination et peut aussi fournir une meilleure image du contexte global de l’épidémie en la reliant avec d’autres épidémies, concomitantes ou plus anciennes. Le WGS est désormais utilisé en routine au CNR depuis 2017. Au niveau épidémiologique, pour la première fois en France, le recrutement des témoins dans une investigation épidémiologique s’est fait à partir d’une cohorte de personnes participant à un projet de recherche en ligne, l’étude GrippeNet.
Cette investigation rappelle l’importance d’une collaboration multidisciplinaire pour permettre d’identifier les sources potentielles de contamination et de mettre en place les mesures de contrôle et de gestion appropriées. Nous profitons de cette occasion pour remercier toutes les personnes qui ont collaboré à cette investigation.

CETTE INVESTIGATION A MONTRÉ L’AMPLEUR DE CETTE ÉPIDÉMIE SUR LA QUASI-TOTALITÉ DU TERRITOIRE FRANÇAIS. QUELS EN SONT LES RÉSULTATS MARQUANTS ? A-T-ELLE PERMIS D’IDENTIFIER LES ALIMENTS MIS EN CAUSE ET D’APPORTER DES MESURES DE GESTION ?

Effectivement, les 83 cas ont été identifiés dans 12 des 13 régions de France métropolitaine, avec 19 cas (23 %) provenant de la seule région Bourgogne-Franche-Comté. L’âge médian des cas était de 70 ans. Au total, 10 décès (12 %) ont été reportés sans information disponible sur la cause de décès. Nous avons pu interroger 63 cas (76% des cas), 68% avaient été hospitalisés et 66% des cas pour lesquels l’information était disponible déclaraient des maladies chroniques (asthme, cancer…).
Les investigations microbiologiques, épidémiologiques et environnementales ont pointé vers deux fromages au lait cru, le morbier et le mont d’Or, comme étant les sources de contamination probables de cette épidémie de Salmonella Dublin. L’utilisation rétrospective du WGS a par ailleurs confirmé la survenue de précédentes épidémies de Salmonella Dublin en 2012.
Les résultats de cette investigation ont pointé vers plusieurs producteurs de fromage de la même région comme sources potentielles de l’épidémie. Il a été difficile d’identifier précisément les lots consommés par les cas car certains fromages ont été consommés à la coupe et également du fait de la fréquence importante de consommation de ces fromages par les cas.
Suite à cette investigation, le groupe des producteurs de morbier et de mont d’Or a mis en place un plan d’action, incluant notamment un test systématique pour la salmonelle des lots de morbier et mont d’Or vendus à partir de février 2016, des visites des fermes plus régulières par des vétérinaires, une meilleure détection du bétail contaminé et leur élimination.

LE RECOURS AUX PARTICIPANTS À LA COHORTE GRIPPENET DE SURVEILLANCE DE LA GRIPPE EN LIGNE POUR LE RECRUTEMENT DU GROUPE TÉMOIN A-T-IL MONTRÉ SA PERTINENCE DANS DE TELLES INVESTIGATIONS ? QUEL EST L’AVANTAGE DE CETTE APPROCHE INNOVANTE ?

Début 2012, le projet de recherche GrippeNet a été mis en place par le réseau Sentinelles (Inserm – Sorbonne Université) et Santé publique France. Il a pour objectif de recueillir par internet directement auprès de la population et de manière anonyme des données épidémiologiques sur la grippe. Toutes les semaines, les participants rapportent les symptômes qu’ils ont éventuellement eus depuis leur dernière connexion.
Recruter nos témoins à partir de l’étude GrippeNet pour notre investigation s’est avéré très pertinent avec deux avantages principaux. Le premier a été la rapidité de mise en place du processus. Il s’est déroulé quatre semaines entre le début de cette investigation SalmonellaDublin et l’envoi aux participants à GrippeNet du questionnaire contenant notamment les consommations alimentaires sur la période de début janvier 2016, pour la comparer avec les cas. Le deuxième avantage a été une bonne participation des « Grippenautes » qui ont été 2 914 (47 %), sur les 6 200 participant à l’étude GrippeNet, à remplir notre questionnaire. La majorité (92 %) l’ont fait dans les deux jours suivant l’envoi du questionnaire, Au total, la durée de collecte des questionnaires chez les « Grippenautes » a duré 12 jours.
Cette méthode, inédite en France mais déjà expérimentée au Royaume-Uni, nous a aussi servi de pilote pour évaluer la pertinence de cette méthode pour de futures investigations d’intoxications alimentaires.