De « Stoptober » à « Mois sans tabac » : comment importer une campagne de marketing social.

Publié le 30 juillet 2019

Le tabagisme est la première cause de mortalité prématurée et de maladies évitables dans le monde. Si la France enregistre une forte baisse de la prévalence depuis 2016, elle reste un des pays d’Europe avec une prévalence importante.
En 2016, Santé publique France lançait la première campagne « Mois sans tabac ». Ce dispositif est une des mesures du Programme national de lutte contre le tabagisme 2014-2019 (augmentation du prix du tabac, remboursement des substituts nicotiniques, etc.). « Moi(s) sans tabac»  est une campagne de marketing social inspirée de la campagne « Stoptober » promue par le PHE (Public Health England) depuis 2012 et dont l’efficacité avait été prouvée en Grande-Bretagne avec 350 000 tentatives d’arrêt du tabac en plus au mois d’octobre lors de la première édition, comparé aux années précédentes.
En France, depuis 2016, la proportion de fumeurs quotidiens parmi les adultes est passée de 29,4 % à 25,4 % en 2018.

L’article paru récemment dans le Journal of Social Marketing décrit les dispositifs respectifs britannique et français et les spécificités de « Mois sans tabac » par rapport à Stoptober. Cette étude* a été réalisée en collaboration avec Karine Gallopel-Morvan (Ecole des hautes études en santé publique, EHESP) et Matthew Walmsley (Public Health England).

3 questions à Romain Guignard, Direction de la Prévention et Promotion de la Santé

Quelle est la spécificité d’une telle campagne de marketing social de lutte contre le tabagisme comparée aux campagnes mass média plus classiques ?

La campagne Mois sans tabac est un dispositif de marketing social dans le sens où elle se base non seulement sur une campagne de communication de grande ampleur, destinée à promouvoir l’arrêt du tabac, mais également sur la mise à disposition d’outils gratuits (dispositif Tabac info service, kit d’aide à l’arrêt du tabac) visant à réduire les coûts et les freins à l’adoption de ce nouveau comportement, et sur une implication des parties prenantes aux niveaux national et local pour intervenir au plus près des publics concernés. L’opération Mois sans tabac est également un dispositif de marketing social dans le sens où elle repose sur un fondement scientifique, qu’il s’agisse de l’étude des comportements liés au tabagisme à partir d’enquêtes représentatives (comme les Baromètres de Santé publique France), d’études qualitatives visant à cerner les freins et leviers à l’arrêt du tabac chez les fumeurs ou d’analyses de la littérature scientifique.

L’objectif de l’opération Mois sans tabac est d’inciter les fumeurs à arrêter de fumer pendant 30 jours en novembre, durée après laquelle les symptômes de sevrage sont considérablement réduits, multipliant par cinq les chances de succès définitif. Le principe du défi collectif est basé sur la théorie de la contagion sociale. De nombreux travaux ont montré l’influence des réseaux interpersonnels sur l’adoption de comportements favorables ou défavorables à la santé, y compris concernant le tabagisme. L’approche utilisée dans l’opération Mois sans tabac est volontairement positive et inclusive, et la fixation d’un objectif limité dans le temps (s’arrêter de fumer pendant 30 jours) permet de lever certains freins à l’arrêt du tabac mentionnés par les fumeurs : la peur d’arrêter « pour toujours » ou la peur de l’échec.

Enfin, l’opération Mois sans tabac s’inspire d’une campagne qui a fait la preuve de son efficacité : la campagne Stoptober lancée en Grande-Bretagne en 2012, basée sur le même principe de défi collectif d’arrêt du tabac pendant un mois. Il a cependant été nécessaire de prendre en compte les spécificités françaises.

Quelles sont ces spécificités ? Quels partenariats ont pu être mis en place ? Y a-t-il des objectifs spécifiques vis-à-vis de certains publics à atteindre ?

Les campagnes Stoptober et Mois sans tabac partagent certains éléments communs, notamment leur principe, leur stratégie et leur cible. Ainsi, la première phase des deux dispositifs consiste en une grande campagne de communication dans les médias traditionnels et digitaux visant à inciter les fumeurs à participer au défi et à s’inscrire en ligne à l’opération. La seconde phase de l’opération est le mois du défi (octobre en Grande-Bretagne et novembre en France), avec la mise à disposition d’outils d’aide à l’arrêt du tabac (pour la France, principalement le dispositif Tabac info service : ligne téléphonique, site internet, application pour téléphone mobile, page Facebook, ainsi qu’un kit d’aide à l’arrêt du tabac inspiré de l’expérience britannique) et des actions de sensibilisation ou de soutien au sevrage tabagique au niveau local (dans des lieux de santé ou des entreprises par exemple). La cible principale des deux campagnes est la population des fumeurs de 20 à 49 ans, tranche d’âge où la prévalence tabagique est la plus élevée, avec une attention particulière portée aux inégalités sociales de santé qui sont marquées dans les deux pays.

Néanmoins, certaines différences contextuelles entre les deux pays ont amené à des adaptations conséquentes pour la mise en œuvre de Mois sans tabac. Ainsi, en 2016, la prévalence tabagique était deux fois plus élevée en France (34,5 %) qu’au Royaume-Uni (16 %), impliquant une dénormalisation moins avancée du tabagisme en France et donc une résistance peut-être plus importante aux messages de prévention parmi les fumeurs français. Des différences culturelles ont également été observées en matière de perception des risques. Une attention particulière aux contenus des messages a donc été nécessaire pour réaliser Mois sans tabac.

En outre, des services d’aide à l’arrêt du tabac de qualité et quasiment gratuits sont présents sur tout le territoire britannique, notamment dans les zones les moins favorisées (il s’agit des Stop Smoking Services du NHS), ce qui n’est pas le cas en France. Au Royaume-Uni, l’aide au sevrage tabagique peut être fournie par tout professionnel de santé, voire du social, ayant bénéficié d’une formation, alors qu’en France elle est principalement dispensée par des tabacologues. Ces différences ont amené Santé publique France à construire un réseau d’ambassadeurs régionaux, en lien avec les Agences régionales de santé, pour déployer au niveau local le dispositif. Des partenariats avec des professionnels et établissements de santé, des collectivités locales, des institutions ou organismes publics, des associations et des entreprises privées ont dû être noués pour atteindre les fumeurs directement sur leur lieu de vie (c’était également le cas au Royaume-Uni mais de manière moindre). En particulier, un partenariat avec l’Ordre des pharmaciens a été développé, permettant la distribution de kits d’aide à l’arrêt dans près de 18 000 pharmacies. Un partenariat avec Pôle Emploi a également été construit pour tenter de toucher les chômeurs, une des populations les plus concernées par le tabagisme d’après les enquêtes en population générale, avec près d’un fumeur quotidien sur deux. Enfin, l’Assurance maladie a porté un appel à projets qui a permis de financer des projets locaux de soutien à l’arrêt du tabac, auprès des fumeurs les plus défavorisés.

Si une forte baisse de la prévalence du tabagisme est observée depuis 2016, la France reste un des pays d’Europe où le tabagisme est important. A quel défi Santé publique France va-t-elle répondre pour cette 4ème année de Mois sans tabac ?

La baisse importante de la prévalence tabagique observée en France depuis 2016 s’explique à la fois par la sortie du tabagisme d’une partie des fumeurs, mais également par une moindre entrée dans le tabagisme chez les jeunes. Concernant le volet « sortie » du tabac, l’opération Mois sans tabac, combinée à d’autres mesures d’ordre réglementaire comme l’instauration du paquet neutre, la hausse du forfait de remboursement des substituts nicotiniques suivi de leur inscription dans le droit commun des médicaments remboursables, et les hausses de prix, ont pu contribuer à l’évolution favorable de la prévalence. Des résultats précédemment publiés indiquaient que 380 000 tentatives d’arrêt étaient directement attribuables à la première édition de Mois sans tabac au dernier trimestre 2016. Les résultats d’évaluation de processus, en particulier les post-tests quantitatifs et qualitatifs réalisés suite à chaque édition du dispositif, ont permis d’optimiser chaque année ce programme de marketing social, qui sera reconduit en 2019. Les efforts de lutte contre le tabagisme restent prioritaires en France, où la prévalence tabagique continue d’être parmi les plus élevées des pays occidentaux. L’implication des professionnels de santé et la prise en compte des inégalités sociales de santé restent des défis majeurs. L’analyse détaillée de la conception de Mois sans tabac, inspirée d’une campagne déjà mise en place dans un autre pays, peut être utile à d’autres pays qui souhaiteraient mettre en œuvre une intervention de ce type, associant une communication résolument positive et un déploiement à différents niveaux géographiques.

Pour en savoir plus :

Sur l’évaluation du dispositif Moi(s) sans tabac

Guignard R, Richard J-B, Pasquereau A, Andler R, Arwidson P, Smadja O, et al. Tentatives d’arrêt du tabac au dernier trimestre 2016 et lien avec Mois sans tabac : premiers résultats observés dans le Baromètre santé 2017. Bull Epidémiol hebd. 2018;(14-15):298-303.

Guignard R, Andler R, Pasquereau A, Smadja O, Wilquin J-L, Gall B, et al. Apports et limites des post-tests pour évaluer les campagnes média : l’exemple de Mois sans tabac. Bull Epidemiol Hebd. 2018;(14-15):304-9.

Sur Stoptober

Fenton K. Stoptober: Supporting smoking cessation in England. Bull Epidémiol Hebd. 2016;(30-31):496-8.

Sur la prévalence du tabagisme en France

Andler R, Richard J-B, Guignard R, Quatremère G, Verrier F, Gane J, et al.Baisse de la prévalence du tabagisme quotidien parmi les adultes : résultats du Baromètre de Santé publique France 2018. Bull Epidémiol Hebd. 2019;(15):271-7.

[1] Djian A, Guignard R, Gallopel-morvan K, Smadja O, Davies J, Blanc A, Mercier A, Walmsley M, Nguyen-thanh V. From "Stoptober" to "Moi(s) Sans Tabac": how to import a social marketing campaign. J Soc Mark. 2019-07-01;(à paraître):1-14.

* Cette étude a été réalisée dans le cadre d’un stage de fin d’études AgroParisTech, réalisé par Auriane Djian sous la supervision de Romain Guignard.