Comportements suicidaires en France métropolitaine : résultats du Baromètre santé 2014
© Frédéric Mercier - Vincent Galtier
Ce 36e numéro de la collection " Évolutions " exploite les données du Baromètre santé 2014 de Santé publique France concernant le suicide. Les résultats confirment l'importance du phénomène suicidaire en population générale et la nécessité d'actions de prévention ciblées et efficaces. En France, la mortalité par suicide et les tentatives de suicide donnant lieu à une hospitalisation sont étudiées à partir de données médico-administratives de surveillance. Les enquêtes barométriques constituent un complément indispensable à ces informations, puisqu'elles apportent des données de prévalences sur les pensées suicidaires et tentatives de suicide, représentatives de la situation en population générale. Elles permettent aussi de caractériser certains profils de vulnérabilité vis-à-vis de ces comportements. L'enquête 2014 montre par exemple que parmi les 15-75 ans interrogés, 4,9 % déclarent avoir eu des pensées suicidaires au cours de l'année et 7,1 % ont fait une tentative de suicide (TS) au cours de leur vie. Autre enseignement : plus de femmes que d'hommes déclarent des pensées suicidaires et des TS au cours de leur vie et les individus les moins favorisés (chômeurs ou inactifs, personnes à faible niveau d'études ou avec des difficultés financières, personnes isolées) sont surreprésentés. Par ailleurs les TS sont plus souvent le fait des jeunes et elles diminuent avec l'âge. Les pensées suicidaires concernent quant à elles davantage les 45-64 ans. L'enquête fait aussi le constat d'une augmentation de ces phénomènes entre 2010 et 2014, la prévalence passant de 4,0 % à 4,9 % pour les pensées suicidaires et de 0,5 % à 0,8 % pour les TS. Enfin, seules 53,0 % des personnes ayant eu des pensées suicidaires au cours de l'année en ont parlé à quelqu'un et 42,0 % des hommes ayant fait une TS dans l'année ne sont pas allés à l'hôpital et n'ont pas été suivis par un professionnel.
Tentatives de suicide dans les minorités sexuelles
Depuis les années 1990, plusieurs études menées principalement aux Etats-Unis ont montré que la prévalence des tentatives de suicide était très élevée dans les minorités sexuelles par rapport à la population hétérosexuelle. En France, les Enquêtes Presse Gays menées par Santé publique France via la presse et les sites internet identitaires ont été les premières à intégrer des questions spécifiques au comportement suicidaire. Dans l'Enquête Presse Gays et Lesbiennes 2011, 10 100 hommes et 2 963 femmes résidant en France ont répondu aux questions sur les tentatives de suicide. Parmi les répondants, 16 % des hommes et 18 % des femmes ont déclaré avoir fait au moins une tentative de suicide au cours de la vie et 1,6 % des hommes et 1,9 % des femmes au cours de l'année écoulée. Les facteurs associés à une augmentation du risque de tentatives de suicide dans l'année chez les hommes et les femmes étaient le fait d'être inactif, d'avoir été victime de rapports sexuels forcés au cours de la vie, d'avoir rompu une relation stable dans l'année, d'avoir consommé de l'alcool de façon excessive et d'avoir déclaré une dépression. De plus, chez les hommes, le fait de vivre dans une petite agglomération, d'avoir subi des agressions physiques et/ou verbales en raison de leur orientation sexuelle, et d'avoir consommé des anxiolytiques dans l'année accroissait la probabilité de faire une tentative de suicide dans l'année. Ainsi, la lutte contre l'homophobie doit un élément clé dans la prévention du comportement suicidaire des minorités sexuelles car les agressions à caractère homophobe représentent un facteur de risque de tentatives de suicide chez les hommes homo et bisexuels.
Tentative de suicide dans le Baromètre santé sourds et malentendants
Dans la lignée des Baromètres santé, le Baromètre santé Sourds et malentendants (BSSM) réalisé en 2011-2012 s'adressait spécifiquement aux personnes vivant avec une acuité auditive réduite ou présentant des troubles de l'audition (acouphènes et hyperacousie). En comparaison avec les données du Baromètre santé 2010, celles du BSSM ont montré que les personnes sourdes et malentendantes ont déclaré avoir 5 fois plus souvent des pensées suicidaires dans les 12 derniers mois, fait 2,5 fois plus souvent des tentatives de suicide au cours de la vie et 3,6 fois plus souvent des tentatives de suicide dans les 12 derniers mois que la population générale.La survenue plus fréquente de pensées suicidaires au cours des 12 derniers mois chez les personnes sourdes et malentendantes était associée à la fois à des spécificités liées à l'audition (la fatigue liée à la communication et la présence de troubles de l'audition très gênants) et aux violences psychologiques et physiques subies.
PMSI et OSCOUR® : les hospitalisations pour tentative de suicide
Le Programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) a été exploité par l'InVS pour l'analyse des hospitalisations pour tentatives de suicide (TS). En France métropolitaine, entre 2004 et 2011, un total de 765 616 séjours pour TS ont été comptabilisés en médecine et chirurgie, correspondant à 556 708 patients, soit environ 90 000 hospitalisations pour 70 000 patients par an. Au cours des huit années étudiées, 80 % des patients ont été hospitalisés une fois et 20 % ont été hospitalisés plusieurs fois pour TS. Quelle que soit l'année, les séjours féminins ont représenté 65 % de l'ensemble des séjours pour TS. L'absorption de médicaments était le mode opératoire des TS de loin le plus fréquent, concernant 82 % des TS hospitalisées, soit entre 70 000 et 85 000 séjours hospitaliers par an. Le taux de séjours pour TS était de 17,7 pour 10 000 habitants (13,4 pour 10 000 hommes et 21,6 pour 10 000 femmes). Les séjours hospitaliers pour TS concernant les adolescentes de 15 à 19 ans présentaient les taux les plus élevés, avoisinant 43 pour 10 000. Les régions du Nord et de l'Ouest, à l'exception de l'Île-de-France et des Pays de la Loire, avaient des taux standardisés supérieurs au taux national chez les hommes et chez les femmes. Le taux de ré-hospitalisation pour TS progressait de 12,8 % à 12 mois jusqu'à 26,6 % à 8 ans sans différence selon le sexe , il était plus élevé parmi les 30-49 ans et chez les patients ayant un diagnostic psychiatrique.Entre 2007 et 2011, le réseau Oscour® (Organisation de la surveillance coordonnée des urgences) a permis d'estimer que 63 % des personnes passées aux urgences pour TS ont été hospitalisées. Parmi ces dernières, 9 % l'ont été directement en psychiatrie et 54 % dans des unités médicales ou chirurgicales. À partir des données du PMSI-MCO et d'Oscour®, le nombre de passages aux urgences pour TS en France métropolitaine est estimé entre 176 000 et 200 000 par an (entre 66 000 et 78 000 chez les hommes et entre 108 000 et 120 000 chez les femmes).
Réseau Sentinelles
Les médecins généralistes (MG) ont un rôle majeur à jouer dans la prévention du suicide en termes de repérage, prévention et prise en charge des patients suicidaires. Des études auprès des MG du réseau Sentinelles montrent la difficulté que les MG rencontrent pour identifier les patients à risque suicidaire et les prendre en charge. Une première étude entre 2009 et 2011 a mis en évidence que les adultes jeunes (18-39 ans, n=106) consultaient moins leur MG que les adultes plus âgés (40 ans et plus, n=164) dans le mois précédant une tentative de suicide (TS) (40,9 % vs. 64,6 %, p=.01) et ont exprimé moins souvent des idées suicidaires lors de la dernière consultation (11,3 % vs. 21,9 %, p=.03). Dans les trois mois précédant la TS, la prise en charge des jeunes adultes par les MG était moins active en termes de soutien psychologique, de référence à des professionnels de santé mentale et de prescription d'antidépresseurs et autres psychotropes. Une deuxième étude visait à comparer la prise en charge par les MG des patients qui sont décédés par suicide (n=141) à ceux qui ont fait une TS (n=498) entre 2009 et 2013. Les patients décédés par suicide étaient plus souvent des hommes, plus âgés, avaient moins d'antécédents de TS et étaient moins souvent suivis par les MG. Toutefois, en termes de prise en charge par le MG, il n'y avait pas de différence dans les deux groupes bien que les patients décédés par suicide avaient plus souvent exprimé des idées suicidaires lors de la dernière consultation. Ces deux études montrent que des programmes de formation sur le repérage et la prise en charge du risque suicidaire des patients consultant en médecine générale seraient utiles pour aider les MG dans leur pratique.
Mortalité par suicide
La mortalité par suicide est décrite à travers les données du CépiDc. L'expertise collective de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) menée sur les travaux internationaux faisant appel à l'autopsie psychologique, souligne la prévalence et l'importance des troubles mentaux dans le comportement suicidaire : un trouble mental était retrouvé dans 90 % des cas de suicide. Tous les troubles mentaux étaient représentés, la dépression majeure étant le plus fréquent.D'après une analyse réalisée par l'InVS, la description des troubles mentaux ayant contribué au suicide, tels qu'indiqués dans les certificats de décès, ne permet pas de mettre en évidence une telle importance des troubles mentaux dans la survenue des suicides. En effet, sur la période 2000-2010, une moyenne annuelle de 10 700 décès par suicide a été enregistrée en France entière, dont 73 % d'hommes. Un trouble mental associé au décès n'était indiqué que pour 40 % d'entre eux : 49,2 % chez les femmes contre 37,2 % chez les hommes. Les troubles mentaux associés aux suicides étaient en très grande majorité des troubles de l'humeur (32,7 %) et avec une fréquence moindre : les conduites addictives – principalement l'alcoolisme – (5,4 %), les troubles anxieux (2,9 %) et les troubles psychotiques (2,4 %). En comparaison, des troubles mentaux étaient notifiés pour 9,6 % des décès autres que par suicide. Après ajustement sur le sexe et l'âge, le risque qu'au moins un trouble mental soit cité comme diagnostic associé au décès était quatre fois plus élevé lorsqu'il s'agissait d'un suicide (RR = 4,0). Ce risque relatif était de 3,5 pour les troubles psychotiques et s'élevait à plus de 20 pour les troubles anxieux et à 38 pour les troubles de l'humeur.