Questions-réponses sur les études sur les incinérateurs

Publié le 16 février 2009

01 - Pourquoi l'étude imprégnation des populations par les dioxines montre-t-elle une faible contribution des incinérateurs à l'imprégnation, alors que l'étude incidences des cancers à proximité des UIOM montre un impact sur la santé ?

Les deux études ont des objectifs différents L'étude incidence des cancers à proximité des UIOM étudie le lien entre la survenue d'un cancer et la résidence passée sous le panache d'un incinérateur. L'étude imprégnation des populations par les dioxines étudie le lien entre l'imprégnation aux dioxines (mesurée par prélèvements sanguins) et différents facteurs contributifs, dont la résidence sous le panache d'un incinérateur.

Les deux études ne prennent pas en compte les mêmes périodes Les pollutions des incinérateurs ont diminué au cours du temps. Dans l'étude imprégnation des populations par les dioxines, les mesures d'imprégnation aux dioxines sont récentes, elles reflètent une éventuelle contamination humaine cumulée durant les 10 ou 15 années précédant l'étude (années 90 et 2000). En effet, la définition des zones exposées par modélisation des panaches est faite à partir des dépôts surfaciques cumulés de 1994 à 2004. Les prélèvements biologiques ont été réalisés de février à juin 2005. Dans l'étude incidence des cancers à proximité des UIOM, on mesure un effet sur la santé qui résulte d'une exposition passée plus ancienne encore, puisque l'exposition est définie comme s'étendant de la date de mise en route de l'incinérateur (1972 au plus tôt) jusqu'en 1985, ceci pour tenir compte de la période de latence (délai entre le début de l'exposition et les premiers signes de cancer). On se situe donc dans les années 70 et 80, période où les incinérateurs étaient globalement plus polluants et moins contrôlés que dans les années 90, où les efforts de régulation ont commencé.De plus, dans l'éventualité d'un rôle de l'imprégnation aux dioxines sur la survenue de cancer (mis en évidence dans quelques études), le moment de l'exposition semble important comme le montre l'expérimentation animale. Certaines périodes, notamment les périodes de développement (y compris in utero) pourraient être plus critiques. Il n'est pas exclu que des " sur imprégnations " même faibles, survenant dans ces périodes, ne contribuent à un excès de risque longtemps après.

Les deux études ne prennent pas en compte les mêmes zones géographiques ni les mêmes incinérateurs ni les mêmes populations Chacune des études a dû sélectionner sa zone et sa population d'étude en fonction de ses objectifs propres et de la faisabilité. Par exemple, l'étude incidence des cancers à proximité des UIOM ne pouvait se dérouler que dans des départements où il existait des registres de cancer. L'étude imprégnation devait se dérouler dans des zones où il existait une population qui consommait des aliments produits localement.Dans chacune des études, les populations classées " non exposées " sont différentes, et le " bruit de fond " de leur éventuelle contamination environnementale est différent, ce qui peut influer sur les résultats. Dans une zone montagneuse peu polluée (ex : Gilly-sur-Isère), le bruit de fond est très faible Donc même si il existe une exposition via l'incinérateur, l'impact sanitaire sur la population peut rester inobservable, ce qui semble être le cas (résultats de l'étude d'incidence réalisée à Gilly-sur-Isère).

L'impact sanitaire mesuré par l'étude incidence des cancers à proximité des UIOM ne préjuge pas de ce qui, dans le panache de l'incinérateur, est susceptible d'avoir provoqué cet impact : il n'y a pas que les dioxines Les autres polluants émis par les incinérateurs sont multiples : dioxines, furanes, PCB, CO, oxydes d'azote (NOx), sulfates (SOx), acide chlorhydrique (HCl), cadmium, plomb, chrome, mercure, arsenic, béryllium, hydrocarbures aromatiques (HAP) et poussières. Parmi ces substances certaines sont cancérigènes ou potentiellement cancérigènes (PCB, cadmium, chrome, plomb, HAP) et il est aussi envisageable que l'interaction entre ces substances joue un rôle.

L'impact sanitaire mesuré par l'étude incidence des cancers à proximité des UIOM ne préjuge pas non plus de la voie d'exposition ni des mécanismes éventuellement en cause Certains contaminants autres que les dioxines peuvent avoir un impact par voie aérienne, par contact avec les poussières etc. Il s'agit donc d'un impact global de l'exposition au panache des incinérateurs anciens inclus dans l'étude, prenant en compte différentes voies d'exposition éventuelles, et ne préjugeant pas des substances ou des mécanismes en cause. Diverses hypothèses peuvent être émises. Par exemple, certains cancers comme le lymphome non hodgkinien (LNH) sont en partie liés à des facteurs de risque infectieux (virus)(1). Une exposition provenant des incinérateurs qui contribuerait à perturber les mécanismes immunitaires pourrait jouer un rôle dans l'augmentation du nombre de cas de LNH observés dans les zones exposées.Autre exemple : une étude française (2) a montré que les femmes qui présentaient une disposition génétique particulière (polymorphisme du cytochrome P4501B1) et qui étaient exposées aux émissions d'un incinérateur pendant plus de 10 ans présentaient un risque 3,26 fois plus élevé, statistiquement significatif, de développer un cancer du sein, par rapport à des femmes non exposées et ne présentant pas ce polymorphisme. Ceci illustre la possibilité d'interactions gènes-environnement, un domaine de recherche essentiel pour le décryptage des mécanismes du cancer.

L'étude imprégnation par les dioxines de la population montre, certes, une faible contribution globale des incinérateurs à l'imprégnation de la population par rapport à d'autres facteurs (âge, habitudes alimentaires, exposition à d'autres sources etc.), mais elle montre une contribution notable chez les consommateurs de produits locaux exposés aux incinérateursDans le graphique page 12 de la synthèse qui détaille différentes catégories de population, on remarque que l'imprégnation des populations exposées aux incinérateurs est toujours supérieure à celle des non exposés, hormis en ce qui concerne les particuliers auto consommateurs de végétaux. De plus l'imprégnation des agriculteurs auto consommateurs de produits locaux dans les zones exposées excède très nettement celle des autres catégories de population.

En conclusion il n'y a pas contradiction entre les deux études et il est possible d'interpréter leurs résultats de façon cohérente si l'on prend en compte l'ensemble des données analysées.

02 - Pourquoi le risque mesuré dans l'étude incidence des cancers à proximité des UIOM est-il d'un ordre de grandeur beaucoup plus faible (8,3 %) que celui qui avait été mesuré en 2003 dans l'étude de Jean-François Viel autour de l'incinérateur de Besançon en ce qui concerne les lymphomes non hodgkiniens (130 %) ?

On ne peut faire que des hypothèses sur cette question, car les études sont différentes. La relation exposition/risque observée dans l'étude incidence des cancers à proximité des UIOM a été réalisée en prenant en compte les rejets de 16 incinérateurs ayant chacun des caractéristiques différentes alors que l'étude de Jean-François Viel était ciblée autour d'un incinérateur bien précis, celui de Besançon, parmi les plus anciens (1971) et réputé pour avoir été particulièrement polluant. Des mesures effectuées dans des œufs provenant de poules élevées dans le voisinage de cet incinérateur ont montré des taux très élevés de dioxines, ce qui va dans le sens de cette hypothèse. De plus il existe dans le voisinage de cet incinérateur de nombreux jardins ouvriers et on peut supposer que la consommation de produits locaux est importante. Il faudrait aussi examiner l'imprégnation aux dioxines dans les zones non exposées à cet incinérateur, qui est peut-être particulièrement basse, ce qui expliquerait, en cas de relation causale, une plus grande contribution de l'incinérateur à cet endroit. D'autres hypothèses pourraient encore être évoquées : existence dans cette zone particulière d'autres sources de dioxines non identifiées pouvant être liées à des pratiques locales (ex : brûlage, épandage de cendres..), présence d'autres facteurs de risque de LNH (facteur infectieux, expositions immunotoxiques autres, etc .), ou encore existence de variations particulières non prises en compte dans le calcul de la population de référence entre 1980 et 1985, période d'étude.

03 - L'étude imprégnation par les dioxines de la population conclut à un rôle négligeable de la voie d'exposition aux dioxines par inhalation par rapport à la voie alimentaire au voisinage des incinérateurs. Comment alors expliquer les taux importants de dioxines mesurés dans quelques études (certaines sont au contraire négatives) chez des travailleurs exposés aux dioxines ?

Les travailleurs exposés professionnellement travaillent en milieu confiné et sont donc beaucoup plus exposés par voie respiratoire, mais aussi peut-être par voie digestive (ingestion de poussières) ou cutanée (il existe un passage cutané car les dioxines sont lipophiles).

04 - L'un des résultats les plus spectaculaires de l'étude incidence des cancers à proximité des UIOM est l'excès de risque de cancers du sein chez la femme. Est-ce la première fois que ce risque est mis en évidence ? Comment expliquer ce résultat car ce cancer n'est pas classiquement suspecté d'être en relation avec les dioxines ?

C'est, à notre connaissance, la première fois que ce risque est mis en évidence en lien avec une exposition aux incinérateurs en population générale. Cependant, ce n'est pas la première fois qu'un lien entre imprégnations aux dioxines et cancer du sein chez la femme est observé. Dans la cohorte de 981 femmes ayant été exposées à l'accident de Séveso (1976), une étude a montré un risque de cancer du sein multiplié par 2,1 pour une multiplication par 10 du taux de dioxine dans le sang (3). Mais le nombre de cas survenus est faible (15 cas). Dans les cohortes exposées professionnellement, il y a peu de femmes, donc ce cancer n'a pas pu en général être étudié. Il existe une étude russe, montrant un excès de risque de mortalité par cancer du sein chez les employées d'une usine ayant produit durant 30 ans des herbicides fortement contaminés par les dioxines(4). Dans une autre étude de 1991, Manz et coll notent un excès de risque de cancer du sein dans une cohorte comprenant des travailleuses exposées dans une usine d'herbicides fortement contaminés par les dioxines située en Allemagne (5). Enfin, l'étude française cas/séries précédemment citée sur un risque de cancer du sein plus élevé (OR=3,26, [1,20-8,884]) chez des femmes présentant un polymorphisme génétique et simultanément exposées aux incinérateurs comparées à des témoins non exposés et présentant le polymorphisme complémentaire, illustre la possibilité d'une susceptibilité génétique en lien avec l'exposition environnementale aux incinérateurs. Schématiquement : les dioxines, en agissant sur le récepteur intranucléaire AhR, induisent l'expression du gène valCYPP1B1 (chez les personnes qui ont ce polymorphisme), lequel entraîne l'augmentation d'un composé génotoxique du catabolisme des oestrogènes, le 4-OH catechol-estradiol. De tels mécanismes pourraient expliquer le survenue de cancers même à faibles doses chez les personnes susceptibles.La plausibilité biologique d'un rôle des dioxines dans la survenue du cancer du sein est argumentée par de nombreux autres travaux. Cette plausibilité est même évoquée en cas d'exposition prénatale pour la génération suivante. En effet, l'expérimentation animale a montré que l'exposition in utero aux dioxines pouvait entraîner des troubles du développement mammaire (6) : retard de prolifération et de différentiation de la glande mammaire, augmentation de fenêtre de susceptibilité à d'autres carcinogènes.

Un consensus scientifique semble se dégager pour considérer les dioxines comme un cancérigène multisites (conception réaffirmée dans le cadre du Congrès ISEE/ISEA 2006 à Paris), les nouvelles études parues depuis le classement en 1997 par le CIRC de la TCDD en cancérigène certain semblant conduire à cette conclusion : voir une mise au point récente (7). Il n'est donc pas impossible que les dioxines soient impliquées dans d'autres localisations cancéreuses, notamment le mélanome, un excès de risque pour cette tumeur étant apparu chez les soldats américains du Vietnam exposés à l'agent orange (8), mais ceci reste à confirmer.

Références
(1) Kinlen L. Infections and immune factors in cancer: the role of epidemiology. Oncogene 2004 Aug 23,23(38):6341-8.
(2) Saintot M, Malaveille C, Hautefeuille A, Gerber M. Interaction between genetic polymorphism of cytochrome P450-1B1 and environmental pollutants in breast cancer risk. Eur J Cancer Prev 2004 Feb,13(1):83-6.
(3) Warner M, Eskenazi B, Mocarelli P, Gerthoux PM, Samuels S, Needham L et al. Serum dioxin concentrations and breast cancer risk in the Seveso Women's Health Study. Environ Health Perspect 2002 Jul,110(7):625-8.
(4) Revich B, Aksel E, Ushakova T, Ivanova I, Zhuchenko N, Klyuev N et al. Dioxin exposure and public health in Chapaevsk, Russia. Chemosphere 2001 May,43(4-7):951-66.
(5) Manz A, Berger J, Dwyer JH, Flesch-Janys D, Nagel S, Waltsgott H. Cancer mortality among workers in chemical plant contaminated with dioxin. Lancet 1991 Oct 19,338(8773):959-64.
(6) Birnbaum LS, Fenton SE. Cancer and developmental exposure to endocrine disruptors. Environ Health Perspect 2003 Apr,111(4):389-94.
(7) Steenland K, Bertazzi P, Baccarelli A, Kogevinas M. Dioxin revisited: developments since the 1997 IARC classification of dioxin as a human carcinogen. Environ Health Perspect 2004 Sep,112(13):1265-8.
(8) Akhtar FZ, Garabrant DH, Ketchum NS, Michalek JE. Cancer in US Air Force veterans of the Vietnam War. J Occup Environ Med 2004 Feb,46(2):123-36.