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Impact de la première vague d’épidémie de COVID-19 sur les hospitalisations et la mortalité pour 10 syndromes gériatriques en France métropolitaine

Impact of the first COVID-19 pandemic wave on hospitalizations and deaths caused by geriatric syndromes in France: a nationwide study.

Publié le 20 février 2023

Les mesures de prévention, en particulier le confinement, et la crainte de contracter la COVID-19 pendant la crise sanitaire ont conduit à des changements de nos modes de vie et du fonctionnement du système de santé susceptibles d’avoir eu un impact sur l’état de santé de la population, notamment chez les populations vulnérables. Les personnes âgées, rapidement identifiées comme étant à risque d’infection sévère par le SARS-CoV-2, ont été particulièrement ciblées par ces mesures strictes de confinement. Plusieurs études ont fait état de la souffrance psychologique associée à l’isolement des personnes âgées, que ce soit dans la communauté ou en institution. Mais que sait-on aujourd’hui des dommages collatéraux du premier confinement national sur leur santé ? Les syndromes gériatriques, affections propres à cette population, peuvent être le signe d’une mauvaise prise en charge et peuvent avoir des conséquences graves en termes de déclin fonctionnel, de qualité de vie ou de mortalité.

L’article qui vient de paraître dans The Journals of Gerontology : Series A [1] fournit pour la première fois des données à l’échelle nationale de l'impact de la première vague de l’épidémie de COVID-19 sur le taux d’hospitalisation et la mortalité liés aux syndromes gériatriques (SG) chez les plus de 65 ans en France.

3 questions à Marion Torres, Direction Maladies chroniques et Traumatismes, Santé publique France

Marion thorres (Photo d'illustration)

Votre étude s’intéresse aux personnes de plus de 65 ans, en lien avec la pandémie de COVID-19. Pourquoi avoir ciblé cette population ? Quels sont les enjeux en terme de santé publique ?

La peur de contracter la COVID-19 et les mesures de gestion de la crise sanitaire, plus spécifiquement durant le premier confinement ont eu des impacts profonds sur les modes de vie (isolement, sédentarité, auto-restriction de recours aux soins, etc.) de la population et le fonctionnement du système de santé.

De nombreuses études ont montré que des consultations et hospitalisations ont été reportées ou annulées, ce qui est susceptible d'avoir eu un impact sur l’état de santé de la population, notamment chez les populations vulnérables telles que les personnes âgées. En effet, ces dernières cumulent fréquemment des facteurs de vulnérabilité physiologiques et psychologiques les exposant particulièrement au risque d’aggravation de leur état de santé initial en cas de crise, faute de capacités suffisantes d’adaptation.

Notre étude visait à étudier à l’échelle nationale, le recours aux hospitalisations et la mortalité pour 10 Syndromes Gériatriques (SG) durant la première vague de la COVID-19 et jusqu’en septembre 2020, en comparaison aux années antérieures. Les 10 SG étudiés sont ceux les plus fréquemment cités dans la littérature, à savoir la démence, le déclin cognitif, la confusion/désorientation, la dépression, la dénutrition, la déshydratation, l’escarre, l’incontinence, la chute et lésion, avec un focus particulier sur la fracture du col du fémur. Pour la plupart évitables, leur apparition peut traduire un défaut de prise en charge (familial, social, sanitaire) pouvant entraîner de lourdes conséquences en termes de déclin fonctionnel, de qualité de vie ou de mortalité. 

Afin d’identifier les hospitalisations et la mortalité liées à ces 10 SG, nous avons exploité les données du Système national des données de santé (SNDS) (voir Encadré). Dans un premier temps, nous avons identifiés les codes CIM-10 de chaque SG à partir de données de la littérature et avis auprès d’experts. Ces codes ont ensuite été utilisés dans les bases du PMSI (Programme de médicalisation des systèmes d’information) pour estimer l’incidence des nouvelles hospitalisations [toutes causes confondus et pour chaque SG en diagnostic principal (DP) ou relié (DR)] au cours de la période considérée. Les hospitalisations pour COVID-19 en DP ou DR ont été exclues. La mortalité a été évaluée à partir de la base des statistiques du Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de Décès (CépiDc - Inserm).

Ces analyses ont été déclinées par âge, sexe, région, et lieu de résidence pour les hospitalisations (domicile versus institution) et lieu du décès pour la mortalité (domicile, institution, établissement de santé ou autres).

Quelles sont les connaissances qu’apportent votre étude ? Y a-t-il des syndromes qui ont été plus marqués que d’autres en termes d’impact ? Observez-vous des disparités selon les régions ?

Notre étude montre une diminution très importante des hospitalisations pour SG, et de façon concomitante une surmortalité en miroir pour la plupart de ces motifs, notamment à domicile et en institution, durant la période de confinement du printemps 2020 (17 mars - 12 mai).

Globalement en France, lors de ce premier confinement, 314 421 personnes âgées de 65 ans et plus ont été hospitalisées pour une cause autre que la COVID-19, ce qui est inférieur au nombre moyen d’hospitalisations des trois années précédentes qui était de 557 033 (-56 %). Comparé à la période 2017-2019, les hospitalisations pour les SG pris en compte dans notre étude ont diminué durant le premier confinement. L’intensité de cette baisse variait selon les SG : -59 % pour l’incontinence, -51 % pour la dépression, -49 % pour le déclin cognitif, -43 % pour la démence, -37 % pour la dénutrition, -37 % pour la déshydratation, -36 % pour une escarre, -30 % pour les chutes/lésions, - 18% pour la confusion/désorientation et -13 % pour les fractures du col du fémur.

Une relation dose-effet a été observée avec la circulation virale du COVID-19 :  les régions les plus impactées par l’épidémie étaient également celles où la baisse des hospitalisations était la plus importante.  Par exemple, la diminution des hospitalisations pour démence lors du premier confinement était de -61 % dans les territoires les plus touchés (Ile-de-France et Grand Est), alors que dans les territoires avec un taux de mortalité liée à la COVID-19 plus faible (Occitanie, Bretagne et Nouvelle-Aquitaine) cette baisse était de -40 %.

De plus, lors de ce premier confinement, une surmortalité a été observée pour la quasi-totalité de ces SG comparée à la période 2015-2017. Cette surmortalité traduit non seulement la surmortalité liée à la COVID-19 des personnes âgées présentant un SG, mais également, pour la plupart des SG, une surmortalité hors-COVID-19 :  +74 % de décès hors-COVID-19 pour confusion/désorientation, +44 % pour fracture du col du fémur, +32 % pour dépression, +20 % pour déshydratation, +9 % pour dénutrition, +8 % pour chutes/lésions. Cette surmortalité était particulièrement observée à domicile et en maisons de retraite. Par exemple, la surmortalité lors du premier confinement pour dénutrition était de 39 % à domicile et 40 % en institution (Ehpad, USLD) alors qu’à l’hôpital il y avait une sous-mortalité de -12 %.

Cette étude souligne que l’épidémie de COVID-19 et le confinement du printemps 2020 ont eu des impacts délétères importants et à court terme sur la santé des personnes âgées en France. Elle suggère que ces impacts sont liés à la saturation du système de soins, notamment dans les régions en zone d’épidémie, et à l’isolement des personnes de plus de 65 ans et leur propre censure de recours aux soins y compris dans les zones où le virus ne circulait pas.

Á plus long terme, quel est l’intérêt de ces indicateurs caractérisant les personnes âgées en terme de surveillance et de prévention ? Permettront-il de nourrir les rendez-vous de prévention des plus jeunes annoncés par le gouvernement et mis en place actuellement ?

Ces résultats soulignent la nécessité d’étudier l’évolution de l’état de santé des personnes âgées, afin de prendre en compte les impacts des mesures de gestion de la crise sanitaire, impacts qui devront être mis en regard de la morbidité et la mortalité par la COVID-19 évitées. 

Notre étude a permis de mettre en place un système de surveillance robuste de l’état de santé des personnes âgées et permettra de poursuivre l’étude des impacts de la pandémie au cours des prochaines années. 

Couplés avec les indicateurs de fragilité1, ceux des syndromes gériatriques seront précieux pour suivre l’évolution de la santé des personnes âgées dans les contextes sociaux, économiques, environnementaux et sanitaires des prochaines années.

La surveillance des syndromes gériatriques, souvent évitables, permettra aussi d’évaluer la nouvelle stratégie qui va être mise en place avec les consultations médicales gratuites à trois âges clés de la vie et notamment à 65 ans.

Ces rendez-vous de prévention, qui auront pour vocation « de promouvoir l’activité physique et sportive et une alimentation favorable à la santé, de prévenir certains cancers et addictions et de promouvoir la santé mentale et la santé sexuelle » doivent permettre de lutter contre la perte d’autonomie. Même à 65 ans et plus, il n’est pas trop tard pour agir, la fragilité étant en bonne partie réversible.

[1] Torres MJ, Coste J, Canouï-Poitrine F, Pouchot J, Rachas A, Carcaillon-Bentata L. Impact of the first COVID-19 pandemic wave on hospitalizations and deaths caused by geriatric syndromes in France: a nationwide study, The Journals of Gerontology: Series A, 2023; glad032. https://doi.org/10.1093/gerona/glad032

Les données du SNDS à des fins de santé publique

Le Système national des données de santé (SNDS) regroupe et chaîne les principales bases de données de santé nationales existant en France, c’est-à-dire les informations de santé de plus de 65 millions de Françaises et de Français.

Á ce titre, c’est actuellement l’une des plus importantes bases de santé au monde. Le SNDS crée des opportunités nouvelles pour la recherche en santé et en santé publique.

Santé publique France est l’un des nombreux utilisateurs du SNDS. L’Agence utilise ses données pour de nombreuses études de surveillance : consommation d’antibiotiques en secteur de ville, couverture vaccinale, désordres hypertensifs de la grossesse, troubles du spectre de l’autisme, dépistage du VIH, diabète de type 1, traitement de l’hépatite C, etc. 

L’accès aux données du SNDS est strictement encadré afin de préserver la confidentialité des données dans le respect des droits fondamentaux des personnes, et de garantir la conformité des traitements aux finalités autorisées par la loi. 

Pour en savoir plus sur le SNDS : 

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Sur l’avancée en âge :

Sur la santé à tout âge

1- La Société française de gériatrie et de gérontologie (SFGG) a adopté, en 2011, la définition suivante de la fragilité :  « La fragilité est un syndrome clinique. Il reflète une diminution des capacités physiologiques de réserve qui altère les mécanismes d’adaptation au stress. Son expression clinique est modulée par les comorbidités et des facteurs psychologiques, sociaux, économiques et comportementaux. Le syndrome de fragilité est un marqueur de risque de mortalité et d’événements péjoratifs, notamment d’incapacités, de chutes, d’hospitalisation et d’entrée en institution. L’âge est un déterminant majeur de fragilité mais n’explique pas à lui seul ce syndrome. La prise en charge des déterminants de la fragilité peut réduire ou retarder ses conséquences. Ainsi, la fragilité s’inscrirait dans un processus potentiellement réversible » (Rolland, 2011).