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Mise en place d'un système national de surveillance des foyers de maladies d'origine hydrique : état des lieux et résultats préliminaires, France, 2010 à 2019

Implementation of a national waterborne disease outbreak surveillance system: overview and preliminary results, France, 2010 to 2019.

Publié le 15 octobre 2021

En 2019, Santé publique France initiait, en collaboration avec la Direction générale de la santé et les Agences régionales de santé (ARS), un système de surveillance nationale des épidémies de gastro-entérites aiguës (GEA) liées à la consommation d’eau du robinet sur l’ensemble du territoire incluant les départements d’outremer. Ces épidémies constituent un réel enjeu de santé publique au niveau local vis-à-vis de la population exposée (entre 20 et 50% de la population desservie par un réseau d’eau contaminée est généralement atteinte) et vis-à-vis de certaines personnes à risque (immunodéprimées, femmes enceintes). Bien que la plupart des épidémies surviennent dans des communes de petite à moyenne taille, elles peuvent également concerner de larges populations comme celle survenue dans l’agglomération de Grenoble en 2016 ou celle de Grasse en 2019. En France, plusieurs épidémies de cette nature sont signalées chaque année à Santé publique France, mais leur impact réel est sous-évalué.

Ce projet de mise en place d’un système de surveillance nationale des épidémies de GEA liées à la consommation d’eau du robinet s’inscrit dans le prolongement des recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) qui précisaient en 2011 le cadre conceptuel de la mise en œuvre par les exploitants des réseaux d’eau potable de plans de gestion et de sécurité sanitaire des eaux (PGSSE). Ses objectifs sont d’améliorer la connaissance de l’impact sanitaire des épidémies d’origine hydrique, de fournir des indicateurs épidémiologiques en lien avec la consommation d’eau du robinet et d’identifier les réseaux d’eau à risque ainsi que les circonstances de survenue des épidémies afin de guider les mesures préventives.

L’article qui vient de paraître dans la revue Eurosurveillance1 présente ce dispositif qui a été déployé dans chaque région de France, et les enjeux en terme de santé publique.

3 questions à Jérôme Pouey et Damien Mouly, Direction des Régions, Santé publique France

Damien Mouly
Jérôme Pouey

La qualité de l’eau du robinet qui est assurée par le contrôle sanitaire, mis en œuvre par les ARS, vise à contrôler la conformité de l’eau distribuée par rapport aux valeurs réglementaires et mettre en œuvre lorsque nécessaire des mesures immédiates de restriction d’usage et/ou des mesures préventives à plus long terme. Quel est l’apport de ce nouveau système de surveillance et en quoi complète-t-il le contrôle sanitaire de l’eau ?

Les épidémies de gastro-entérites aiguës (GEA) d’origine hydrique sont la plupart du temps liées à une contamination du réseau de distribution de l’eau destinée à la consommation humaine (EDCH ou « eau potable ») par des agents pathogènes. La contamination intervient généralement accidentellement soit lors d’incidents sur le réseau de distribution (casse de canalisation, retour d’eaux usées de station d’épuration) soit lors de dysfonctionnements ou de carences des procédés de traitements au niveau de la production d’eau. Dans ce dernier cas, les vulnérabilités des ressources constituent un facteur de risque d’introduction des agents pathogènes (élevages à proximité des zones de captage, fortes précipitations, etc.).

Le contrôle sanitaire de l’eau destinée à la consommation humaine est un dispositif de surveillance qui permet de vérifier que l’eau distribuée respecte les valeurs de qualité réglementaires* selon un programme de prélèvement prédéfini. Les prélèvements effectués dans ce cadre sont réalisés de façon ponctuelle à une fréquence dépendant principalement de la taille de la population desservie ou de circonstances particulières telles que suite à des plaintes d’usagers ou suite à une pollution accidentelle pour définir le moment où les valeurs de qualité sont à nouveau respectées. De ce fait, ce dispositif est peu sensible à la détection d’évènements de pollution ponctuelle pour les réseaux d’eau de petite à moyenne taille qui bénéficient de quelques analyses par an. 

A la différence du contrôle sanitaire de l’eau potable qui garantit la qualité de l’eau, au sens « d’aliment », selon une fréquence d’analyse basée sur la taille de la population desservie, le système de surveillance mis en place surveille directement l’état de santé des consommateurs, au travers l’identification de cas groupés de GEA (ou clusters), de façon quotidienne et systématique pour tous les réseaux d’eau en France. Ceci indépendamment de la taille du réseau d’eau. En soit, il constitue un dispositif de surveillance sanitaire sensible pour l’ensemble de la population. Il permet ainsi de détecter des signaux sanitaires au niveau de réseaux d’eau, qu’il y ait eu ou non des non-conformités microbiologiques identifiées par le contrôle sanitaire. En ce sens, il complète le contrôle sanitaire de l’eau et contribue à renforcer la sécurité du consommateur vis-à-vis du risque infectieux porté par l’eau du robinet.

L’identification des réseaux d’eau pour lesquels ont été détectés des cas groupés de GEA, permet de rechercher a posteriori les circonstances de contamination de l’eau, et d’éviter les récidives en mettant en place les mesures de gestion adaptées. 

L’intérêt de ce dispositif en santé publique réside ainsi dans sa capacité à mieux estimer l’impact sanitaire associé à l’eau du robinet et à guider les actions de prévention vis-à-vis du risque infectieux porté par l’eau du robinet. Le dispositif peut également être utile pour évaluer l’efficacité des actions mises en œuvre pour sécuriser un réseau d’eau. Il constituera ainsi un complément utile au contrôle sanitaire de l’eau potable au moment où la directive européenne va imposer à chaque état membre la mise en place de plans de gestion de sécurité sanitaire de l’eau (PGSSE).

Sa principale limite réside dans le délai d’obtention et de consolidation des données de santé (environ 2 à 3 mois), ce qui ne permet pas d’en faire un dispositif d’alerte précoce et de limiter le nombre de malades pour un évènement passé.

Cette surveillance implique de disposer de données de santé et de données environnementales, etc. Comment toutes ces données sont-elles compilées pour détecter des épidémies de gastro-entérites aiguës avec une origine hydrique plausible ?

Le dispositif de surveillance repose sur une approche écologique qui combine dans un premier temps une phase de détection statistique et de sélection de signaux (c’est-à-dire des cas groupés – ou clusters – de GEA) dont l’origine hydrique est plausible et dans un second temps une phase d’investigations environnementales des signaux sélectionnés pour conforter l’origine hydrique et identifier les circonstances de survenue de la pollution du réseau d’eau. 

Pour la première phase, une méthode de détection spatio-temporelle rétrospective de cas groupés de GEA médicalisés (GEAm) à l’échelle des unités de distribution d’eau (UDI) est appliquée en utilisant, respectivement, les données du Système national des données de santé (SNDS) de l’Assurance Maladie (indicateur GEAm basé sur les prescriptions médicales déclinées par jour et par commune) et les données de la base SISE-Eaux de la Direction générale de santé (découpage UDI/communes). L’indicateur GEAm qui correspond aux malades allant consulter un médecin généraliste pour cette pathologie et représente environ un tiers des cas de GEA dans la population. Cette phase de détection est réalisée sur l’ensemble des communes de France de façon automatisée. Parmi les clusters identifiés par cette méthode, des critères épidémiologiques, basés sur les épidémies passées (durée du cluster, nombre de cas observés et attendus), sont ensuite utilisés afin de sélectionner ceux dont la plausibilité hydrique est la plus forte. Pour chaque cluster sélectionné, des investigations environnementales peuvent être déclenchées au niveau du système de production/distribution d’eau correspondant.

Pour cette seconde phase, les investigations environnementales consistent au recueil d’informations par les ARS, y compris et si nécessaire auprès des exploitants, sur les fragilités éventuelles des filières de production, de traitement et de distribution de l’eau potable : vulnérabilités des points de captage, historiques des non-conformités du contrôle sanitaire, dysfonctionnements connus (tels que défauts de chloration, retours d’eaux usées), plaintes d’usagers, évènements extérieurs tels que pluviométriques ayant pu déstabiliser la filière, et tout autre évènement pouvant être considéré comme un point d’entrée d’agents pathogènes (travaux sur réseau, etc.). Sur la base des données recueillies lors de ces investigations et des associations connues dans la littérature, les clusters sont classés en quatre niveaux de plausibilité hydrique : « forte », « probable », « possible » et « indéterminée ».

Ainsi, sur la période 2010 à 2019, 3 323 clusters disposant de caractéristiques épidémiologiques compatibles avec l’hypothèse d’une épidémie de GEA d’origine hydrique ont été détectés. Ces derniers correspondaient à environ 54 000 cas de GEA médicalisés en excès domiciliés sur 3 717 unités de distribution différentes (soit 15,4% des unités du territoire national comptabilisées en 2019). Le dispositif ayant démarré en 2019, peu d’enquêtes environnementales ont été rapportées à ce jour sur ces clusters détectés.

À ce stade, bien que la sensibilité du dispositif soit considérée comme bonne (75% des épidémies de GEA signalées par les ARS à Santé publique France entre 2010 et 2019 sont identifiées comme clusters dans la phase de détection), il reste cependant difficile d’apprécier la valeur prédictive du dispositif. Cette qualité pourra être estimée avec la multiplication des enquêtes environnementales en lien avec la mise en œuvre par les ARS de la circulaire de 2019** fixant un objectif de un cluster statistique à investiguer par département et par an. 

Nombreux sont les acteurs, au plan national, régional et départemental, qui sont investis dans la mise en place de ce dispositif. Quels sont leurs rôles spécifiques et les outils mis à leur disposition ?

Ce dispositif s’appuie sur la collecte multi-sources de données au niveau de différents partenaires que sont l’Assurance-Maladie, la Direction générale de la santé, Météo-France, les ARS, et les producteurs/distributeurs d’eau. Santé publique France, assure le pilotage et l’animation du système de surveillance, la collecte des données, la mise à jour de la liste des clusters statistiques et la sélection des clusters dont l’origine hydrique a été classée comme plausible. Les clusters ainsi retenus sont ensuite priorisés et transmis aux ARS pour mise en œuvre des enquêtes environnementales. Ces enquêtes sont le plus souvent réalisées par les services santé-environnement des délégations départementales des ARS. Elles sont fondamentales dans le dispositif car elles permettent d’objectiver ou d’infirmer l’origine hydrique des clusters détectés et d’identifier les circonstances de la contamination.

Au-delà des clusters les plus récents transmis pour les investigations environnementales, les données historiques des clusters détectés (disponibles depuis 2010) permettent également de fournir aux ARS la liste des réseaux d’eau pour lesquels plusieurs clusters ont été détectés et qui peuvent être considérés comme les plus à risque de contamination microbiologique.

Le partage d’informations est un élément clé de l’animation de ce dispositif. Un outil partagé de restitution des indicateurs et de monitoring des investigations a été développé par Santé publique France : EpiGEH (voir encadré). 

EpiGEH sera mis à disposition des différents partenaires institutionnels en ligne sur le Réseau Interministériel de l’Etat et en particulier les ARS dès la fin de l’année 2021. Le partage d’information sera également assuré au travers de synthèses épidémiologiques (bulletin de santé publique national et ses déclinaisons régionales) à paraître en 2022 qui dressera un premier bilan de ces trois années de surveillance.

Pour la première fois en France, un dispositif de surveillance permet d'évaluer en routine l’impact sanitaire du risque infectieux porté par l’eau du robinet aux niveaux national, départemental, communal (y compris pour des petites communes desservant entre 200 et 500 habitants) et ainsi contribuer à l’amélioration de la qualité de l’eau pour le consommateur.

L’application EpiGEH : ses objectifs

  • Rétro-informer la nature et la plausibilité hydrique des signaux détectés par le dispositif de surveillance ;
  • Permettre la mise à jour par les membres de la coordination régionale du classement des signaux dans le cadre des investigations sanitaires et environnementales des signaux ;
  • Mettre à disposition des équipes et partenaires (nationaux et régionaux) de Santé publique France les informations construites à partir de l’indicateur sanitaire GEAm afin de disposer d’éléments pour valider l’impact sanitaire de signaux environnementaux (exemple d’une non-conformité signalée par l’ARS sans notion de signal de GEA au moment de la non-conformité, rupture de canalisation, fortes pluies, etc.) ;
  • Réaliser une synthèse nationale des indicateurs.

 

logo EpiGEH

Références :

1 Pouey J, Galey C, Chesneau J, Jones G, Franques N, Beaudeau P; groupe des référents régionaux EpiGEH, Mouly D. Implementation of a national waterborne disease outbreak surveillance system: overview and preliminary results, France, 2010 to 2019. Euro Surveill. 2021 Aug;26(34):2001466. doi: 10.2807/1560-7917.ES.2021.26.34.2001466. PMID: 34448447; PMCID: PMC8393890.

* Arrêté du 11 janvier 2007 relatif aux limites et références de qualité des eaux brutes et des eaux destinées à la consommation humaine mentionnées aux articles R. 1321-2, R. 1321-3, R. 1321-7 et R. 1321-38 du code de la santé publique

** Ministère de la Santé. Instruction n° DGS/EA4/2019/46 du 27 février 2019 relative au dispositif de surveillance des cas groupés de gastro-entérites aiguës médicalisées en lien avec une origine hydrique plausible. Paris : ministère de la Santé, 2019 : 11 p.