Stress post-traumatique chez les mères migrantes en hébergement social en Ile-de-France

Post-Traumatic Stress Disorder in Homeless Migrant Mothers of the Paris Region Shelters

Publié le 12 août 2020

La population des personnes sans domicile en Ile-de-France a augmenté de plus de 300 % ces 20 dernières années et s’est accompagnée d’une évolution des profils avec une augmentation des familles, majoritairement monoparentales, migrantes, et en situation administrative précaire. Alors que ces familles cumulent des difficultés qui peuvent impacter leur santé ou celle de leurs enfants, il existe en France très peu de données épidémiologiques sur leurs caractéristiques de santé dont la santé mentale. Or, ces femmes de familles sans logement, migrantes, sont particulièrement à risque d’avoir vécu un événement traumatogène pouvant impacter leur santé mentale. Plus d’un quart de ces femmes souffrent d’état de stress post-traumatique (ESPT), contre 7 % des femmes dans la population générale. 

Pour les femmes migrantes qui ont fréquemment subi divers traumatismes de par leur histoire et leur parcours et qui sont exposées à un risque accru d’ESPT, vivre sans domicile fixe dans le pays d’accueil constitue-t-il un obstacle supplémentaire à leur résilience ? C’est à cette question que l’étude* parue ce mois-ci dans la revue International Journal of Environmental Research and Public Health1 a tenté de répondre. La population d’étude est la même que celle de l’enquête ENFAMS, conduite en 2013 par l’Observatoire du Samu social, et à laquelle Santé publique France a participé.

3 questions à Stéphanie Vandentorren, Santé publique France

Stéphanie Vantendorren

Quelles sont les caractéristiques des femmes de cette population et en quoi diffèrent-elles de celles des autres études portant sur la santé des femmes migrantes ? Quels sont les facteurs associés à un état de stress post-traumatique ?

Les familles migrantes sans domicile cumulent de multiples difficultés : celles qui sont communes aux autres femmes migrantes, comme par exemple une méconnaissance du système de santé français, de leurs droits, un renoncement plus fréquent aux soins, la barrière de la langue et la discrimination ; à laquelle s’ajoutent d’autres difficultés communes aux familles en situation de précarité telles que la pauvreté économique, l’isolement social et l’insécurité alimentaire. Elles font face de surcroît à leur situation de « sans domicile » qui renvoi à des conditions de logement particulièrement éprouvantes, comme une instabilité résidentielle forte et des hébergements inadaptés. Les familles sans logement sont ainsi entraînées dans une spirale de difficultés économiques et de souffrances sociales qui induit des niveaux élevés de stress et des conditions de vie qui peuvent être délétères sur leur santé mentale. 

Notre étude a ainsi montré que ces mères étaient âgées en moyenne de 31 ans, dont une majorité de femmes migrantes (78% nées en dehors de l’Europe), et pour la moitié d’entre elles à la tête d’une famille monoparentale (52%). Leurs conditions de vie sont éprouvantes : 23% ont été victimes de violences conjugales, 14% ont déjà passé la nuit dehors, près de 48% sont sans-domicile depuis plus de 2 ans et 39% qui subissent une instabilité résidentielle (moins de 6 mois dans le dernier hébergement). Nous avons noté une prévalence élevée d’environ 19% d’ESPT au cours des 12 derniers mois. L’ESPT était associé à des caractéristiques précédant la migration, comme le départ du pays d’origine pour une cause violente ainsi qu’à des facteurs de vulnérabilité, comme la dépression au cours des 12 derniers mois. Cependant, des expériences post-traumatiques comme les conditions de vie dans le pays d’accueil semblaient aussi avoir un rôle non négligeable. Ces résultats mettent en évidence l’aspect multifactoriel de l’ESPT et montre que les femmes immigrées et sans domicile cumulent les facteurs y prédisposant.

Votre attention dans cette étude s’est portée sur les conditions d’accueil de ces mères de familles et l’impact sur leur santé mentale. Pourquoi avoir choisi cet angle pour étudier cette population ?

L’instabilité résidentielle traduit des déménagements fréquents, imprévisibles et indésirables qui influencent négativement le système de soutien familial, le développement et le bien-être des enfants. Elle capture la notion d’ancrage territorial, qui est primordial pour accéder aux soins, comme la connaissance des structures de soins, le fait d’obtenir des rendez-vous réguliers et de pouvoir bénéficier d’un accompagnement personnalisé. Notre étude a montré que l’instabilité résidentielle était associée à l’ESPT. 

Les conditions de vie et les difficultés d’insertion à l’arrivée dans le pays hôte nous ont questionnés car elles peuvent influencer la santé mentale des mères et de leurs enfants. Actuellement, les familles sans logement sont accueillies dans des hébergements prévus pour des situations d’urgence et donc inadaptés à des longs séjours. En effet, les conditions d’hébergements ne sont pas optimales pour les familles et on note l’absence d’infrastructures et de confort matériel comme le manque de literie, l’absence de cuisine ou de salle de bain. L’impossibilité de recevoir des amis accroît l’isolement social et certains hébergements restent de surcroît éloignés des transports, des structures sanitaires, sociales et administratives. Ces conditions s’accumulent aux autres difficultés évoquées comme la difficulté à parler, écrire et lire le français, l’absence de travail ou un travail pénible et peu valorisant, et l’accumulation des tâches à assumer, surtout pour les mères seules. Si les femmes ont par ailleurs été victimes de violences, elles peuvent davantage souffrir de dépression ou d’état de stress post-traumatique qui peuvent à leur tour renforcer l’isolement de ces familles dont l’accès aux soins est déjà limité. Ces différents facteurs constituent des obstacles importants au diagnostic et à une prise en charge adaptée de ces pathologies. ll nous a donc paru nécessaire de mieux caractériser et mieux comprendre les facteurs associés à ces difficultés, d’autant que l’impact de ces conditions de vie sur le bien-être et le comportement des parents et de leurs enfants à court terme peut avoir des répercussions importantes sur leur avenir.

Le lien entre la santé mentale des mères et les difficultés émotionnelles des enfants est décrit dans la littérature. En quoi l’insécurité résidentielle ajoute-t-elle à ces difficultés ? Qu’apporte votre étude sur le retentissement sur leur(s) enfant(s) de la forte vulnérabilité de ces mères ?

L'exposition à des traumatismes a des répercussions sur la santé mentale des parents et des enfants, dont les réactions émotionnelles sont intimement reliées. Une étude examinant l'association entre le bien-être de l'enfant et l’ESPT maternel, l’absence de logement, l’abus de substance et d'autres troubles psychiatriques montre que l'augmentation des symptômes de dépression et d'anxiété chez les enfants était associée principalement à l’ESPT de la mère. Le traitement des symptômes de l’ESPT maternel peut donc être bénéfique pour les enfants, que l'enfant soit exposé ou non à l'expérience traumatisante. 

Dans notre étude, les enfants avaient en moyenne 5,4 ans et plus de la moitié d’entre eux (57%) étaient nés en France. Près de 10% des enfants de 6 à 12 ans n’étaient pas scolarisés. Ce pourcentage variait de 21% pour les enfants ayant déménagé plus d’une fois durant les 12 derniers mois, à 9% pour ceux qui avaient déménagé une fois, et 4% pour ceux qui n’avaient pas déménagé du tout). Par ailleurs, l’insécurité alimentaire n’épargnait pas les enfants. Plus de la moitié d’entre eux (60%) étaient touchés. 

Lors d’une précédente étude, nous avions étudié les difficultés émotionnelles des enfants à l’aide du questionnaire comportemental pour les enfants âgés de 3 à 16 ans, le SDQ (Strengths and Difficulties Questionnaire)2, questionnaire comportemental bref. Dans cette étude les enfants avaient un score total plus élevé que les enfants de la population générale en France (moyenne du score total = 11,3 vs 8,9, p<0,001). Les difficultés des enfants étaient associées à la région de naissance des parents, à leur état de santé dont leur surpoids et à la santé mentale des mères (en particulier avec le risque suicidaire des mères). Ces résultats soulignent l’importance de prendre en charge la santé mentale des mères pour créer un cercle vertueux, pour elles-mêmes mais aussi pour leurs enfants. Enfin, les difficultés émotionnelles étaient aussi liées aux conditions de vie comme les habitudes de sommeil, le fait que les enfants soient victimes de moqueries à l’école mais aussi à leur hébergement. Ainsi, les difficultés émotionnelles étaient liées au fait que les enfants n’aimaient pas leur hébergement et qu’ils subissaient une forte mobilité résidentielle. Agir sur les conditions de vie de ces familles est donc un enjeu majeur de santé publique et ce d’autant plus que la situation sanitaire que nous vivons actuellement risque de creuser davantage les inégalités sociales de santé et toucher en plein fouet ces familles déjà fragilisées. 

En savoir plus sur l'enquête ENFAMS

Roze M, Vandentorren S, van der Waerden J, Melchior M. Factors associated with depression among homeless mothers. Results of the ENFAMS survey. J Affect Disord. 2018 Mar 15;229:314-321. doi: 10.1016/j.jad.2017.12.053. Epub 2018 Jan 6. 

Roze M, Vandentorren S, Vuillermoz C, Chauvin P, Melchior M. Emotional and behavioral difficulties in children growing up homeless in Paris. Results of the ENFAMS survey. European Psychiatry. Volume 38, October 2016, 51-60. https://doi.org/10.1016/j.eurpsy.2016.05.001 

Martin-Fernandez J, Lioret S, Vuillermoz C, Chauvin P, Vandentorren S. Food Insecurity in Homeless Families in the Paris Region (France): Results from the ENFAMS Survey. Int. J. Environ. Res. Public Health 2018, 15, 420; doi:10.3390/ijerph15030420.

Arnaud A, Lioret S, Vandentorren S, Le Strat Y. Anaemia and associated factors in homeless children in the Paris region: the ENFAMS survey. Eur J Public Health. 2018 Aug 1;28(4):616-624. doi: 10.1093/eurpub/ckx192.

* Cet article a été rédigé dans le cadre d’un travail doctoral de Mathilde Roze (Inserm, Sorbonne université, Institut Pierre Louis d’Epidémiologie et de Santé Publique - IPLESP, Paris) encadré par Stéphanie Vandentorren (Santé publique France, Saint-Maurice) en co-encadrement avec Maria Melchior (Inserm). Ce travail est un partenariat avec le Centre National de Ressources et Résilience (Lille) et le CESP Inserm 178 (Bobigny).  

1 Roze M, Melchior M, Vuillermoz C, Rezzoug D, Baubet T, Vandentorren S. Post-Traumatic Stress Disorder in Homeless Migrant Mothers of the Paris Region Shelters. Int J Environ Res Public Health. 2020;17(13):4908. Published 2020 Jul 7. doi:10.3390/ijerph17134908.

2 Le SDQ inclus 5 échelles de 5 items correspondant à différents aspects du comportement des enfants : troubles émotionnels, troubles comportementaux, symptômes d’hyperactivité/inattention, troubles relationnels avec les pairs et comportement prosocial.