Cluster de COVID-19 dans les Alpes, France, Février 2020

Cluster of Coronavirus Disease 2019 (COVID-19) in the French Alps, February 2020

Publié le 29 juin 2020

Le 7 février 2020, alors que la France comptait seulement 6 cas confirmés d’infection par le nouveau coronavirus sur son territoire, une alerte européenne via le EWRS (Early warning and response System) informait les autorités françaises de la survenue d’un cas confirmé de COVID-19 au Royaume-Uni de retour récent d’un séjour en France.

Cette notification a été le départ d’une investigation menée par Santé publique France, l’ARS et de nombreux partenaires. Objectif : détecter le plus précocement possible les cas secondaires potentiels, identifier les contacts et prévenir la transmission. D’après la reconstitution des déplacements de ce cas, il avait été infecté lors d’une conférence à Singapour. Il a ensuite séjourné en Haute-Savoie, dans un chalet situé au Contamines-Montjoie. Ce cas index a infecté 12 personnes, dont un enfant, tous ayant séjourné dans ce chalet. Le diagnostic a été effectué dans 3 pays (France, Angleterre et Espagne). L’enfant avait fréquenté 3 écoles et une école de ski alors qu’il était symptomatique. Aucun des 170 contacts de cet enfant, identifiés lors de l’investigation n’a été infecté.
L’article paru récemment dans la revue Clinical Infectious Disease1 décrit par le menu l’investigation de ce premier cluster survenu dans les Alpes française qui a eu d’importants échos dans la communauté scientifique et la presse nationale et internationale.

3 questions à Kostas Danis et Thomas Bénet, Santé publique France

Au vu de la transmission au sein de ce chalet, vous avez qualifié le cas index de super contaminateur (super spreader). En quoi cette situation est exceptionnelle ou diffère des situations moyennes de cette pandémie ? De telles situations avaient-elles déjà été décrites lors d’autres épidémies ?

Dans ce cluster, le cas index a infecté 12 autres personnes. Tous, sauf un, étaient symptomatiques. La transmission a été limitée au seul environnement du chalet, avec un taux d'attaque très élevé. Alors que le taux de reproduction (R0) du COVID-19 varie entre 2 et 3 (chaque cas générant en moyenne 2 à 3 autres cas), le nombre de cas secondaires de ce cluster était ici 4 à 6 fois plus élevé. D’où le qualificatif de ‘super contamination’ (super spreading)  pour ce cluster. Ce phénomène avait déjà été décrit lors d'autres épidémies émergentes de coronavirus, comme l’épidémie du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS-CoV) en 2015, et celle de syndrome respiratoire aigu sévère (SARS-CoV) en 2003. Les 2 virus, SARS-CoV et SARS-CoV-2 – ce dernier étant responsable de la pandémie actuelle –partagent le même récepteur cellulaire. L’hypothèse est que les sujets ‘super-contaminateurs’ (super-spreaders) émettent de plus grandes quantités de virus et sur une période plus longue que les autres sujets porteurs du virus. Cette combinaison complexe de facteurs, liés à l’hôte charge virale, symptômes), au virus, au comportement des individus et l'environnement (proximité et dynamique du flux d'air), joue probablement un rôle dans le nombre d'infections par un seul sujet super-contaminateur. L’identification précoce de ce type d’évènement est importante pour limiter la transmission.

Quels sont les résultats de cette investigation ? Qu’a-t-elle permis d’apporter de nouveau ou de confirmer sur la question de la contagiosité de la COVID-19 et de la sévérité de la maladie, en particulier chez les enfants ?

Un résultat intéressant concerne l’enfant, co-infecté par le SARS-CoV-2 et d'autres virus respiratoires, et qui avait fréquenté trois écoles alors qu'il était symptomatique. 73 enfants en contact avec lui et présentant des symptômes ont été testés mais aucun n’était positif pour le SARS-CoV-2 alors que des infections par d’autres virus respiratoires incluant la grippe ont été confirmées. Parmi tous les autres sujets ayant été en contact avec l’enfant infecté et qui ont été suivis pendant deux semaines, aucun n'a développé de symptôme. L’enfant infecté par SARS-CoV-2 avait poursuivi ses activités et vie sociale normale, ses symptômes étant légers.

On sait aujourd’hui que, en cas d’infection par le SARS-CoV-2, les enfants sont plus souvent asymptomatiques que les adultes et que ceux qui sont symptomatiques présentent des formes cliniques de la maladie plus bénignes. La situation décrite ici suggère que les enfants, étant moins susceptibles d'être infectés et développant des formes moins sévères, pourraient avoir un rôle moindre que les adultes dans la transmission de ce nouveau virus. Cependant, l’étude étant un rapport d’épidémie, il n’a pas vocation à démontrer que le taux de transmission de SARS-CoV-2 par les enfants serait inférieur à celui des adultes. Le dépistage large initial avait été réalisé par analogie avec la grippe où les enfants sont des sources fréquentes de transmission, notamment aux adultes. Nous n'avons pas observé la même dynamique durant cette pandémie.

Cette observation issue d’une situation particulière a suscité un vif intérêt dans la communauté scientifique et la presse internationale, en particulier au moment des discussions sur la réouverture des écoles car en effet le rôle des enfants dans la transmission n’était alors que peu documenté. Il existe aujourd'hui un nombre croissant de preuves dans la littérature internationale pour étayer le rôle modéré des enfants dans la dynamique épidémique comparativement aux adultes.

D’autre part, cette investigation a montré l'apparition d'un cas tertiaire détecté chez un patient symptomatique dont le prélèvement respiratoire profond était positif, alors que tous les prélèvements nasopharyngés réalisés chez ce sujet au même moment étaient négatifs. La dissociation entre les résultats des voies respiratoires supérieures et inférieures souligne l’intérêt des prélèvements profonds pour confirmer le diagnostic, notamment dans les cas de pneumonies virales.

En quoi la collaboration régionale, nationale et internationale a-t-elle été cruciale dans cette investigation ?

La chaîne de transmission a été interrompue grâce à une réponse coordonnée. Cette investigation a nécessité une collaboration avec les autorités sanitaires de cinq pays (France, Royaume-Uni, Espagne, Suisse et Australie) et l’appui des points focaux nationaux de l'EWRS et du Règlement sanitaire international (RSI), ce qui montre l’importance des systèmes de notification internationaux. La deuxième génération de cas de SARS-CoV-2 de ce cluster a été détectée dans les 24 heures suivant la notification initiale. Une vaste opération de recherche et de suivi des contacts a été mis en place dès le lendemain, nécessitant la mobilisation rapide et coordonnée d'une centaine de professionnels pendant le week-end et la collaboration d'équipes multidisciplinaires au niveau local et national. Une campagne de tests a été réalisée aux Contamines-Montjoie le dimanche avec des soignants et a permis un échange direct avec les populations concernées. L'expérience acquise lors de précédentes épidémies de maladies émergentes, telles que le SRAS, le virus MERS-CoV, le virus A(H1N1) pdm09 et le virus Ebola, a facilité une action rapide et coordonnée.

Les investigations de clusters de COVID-19

Guide pour l'identification et l'investigation de situations de cas groupés de COVID-19

En savoir plus

1 Danis K, Epaulard O, Bénet T, Gaymard A, Campoy S, Botelho-Nevers E, et al., for the Investigation Team, Cluster of Coronavirus Disease 2019 (COVID-19) in the French Alps, February 2020, Clinical Infectious Diseases, ciaa424.