Prise en charge médicale et impact psychologique, somatique et social sur les personnes impliquées dans les attentats terroristes de janvier 2015 à Paris : étude de cohorte

Healthcare provision and the psychosocial, somatic ans social impact on people involved in the terror attacks in January 2015 in Paris: cohort study

Publié le 4 avril 2018
Prise en charge médicale et impact psychologique, somatique et social sur les personnes impliquées dans les attentats terroristes de janvier 2015 à Paris : étude de cohorte

En 1995, suite aux attentats de 1982 et de 1995 qui ont touché la France, ont été mis en place les Cellules d’urgence médico-psychologique dont un des objectifs était d’assurer la prise en charge médico-psychologique des victimes d’évènements traumatiques, sur les lieux mêmes de l’évènement. L’objectif à plus long terme était de réduire le risque de survenue de l’état de stress post-traumatique (ESPT). D’après la littérature, l’ESPT touche entre 8 et 30 % des personnes directement impliquées dans des attentats. Suite aux attentats qui ont touché la France les 7, 8 et 9 janvier 2015, Santé publique France et l’Agence régionale de santé Île-de-France ont mis en place une enquête épidémiologique, baptisée IMPACTS (investigation des manifestations traumatiques post-attentats et de la prise en charge thérapeutique et de soutien) financée par la Fondation d’aide aux victimes du terrorisme. Son objectif : décrire l’impact à moyen et à long terme, au plan sanitaire et social, chez les professionnels impliqués dans la prise en charge immédiate des victimes et chez les personnes exposées directement ou indirectement et vivant à proximité des attentats.

L’article paru ce mois-ci dans le Journal of British Psychology décrit l’impact sanitaire et social à 6 mois, dans ces populations et leur prise en charge, et ouvre sur des perspectives à plus long terme sur le contexte post-attentat.

Stéphanie Vantendorren

3 questions à Stéphanie Vantendorren, direction des régions

L’enquête impacts s’est intéressée aux intervenants d’urgences impliqués dans la prise en charge des victimes et aux personnes exposées directement ou indirectement et vivant à proximité des attentats. Il s’agissait d’une des premières enquêtes de ce type réalisée en France suite à un attentat. Quelles sont les premières leçons au regard de ces différentes populations ?

L’enquête IMPACTS a montré que – 6 mois après les évènements – des conséquences psycho-traumatiques étaient toujours importantes chez les personnes exposées (directement ou indirectement) à la menace. De plus, des témoins non directement menacés présentaient eux aussi des troubles psychiques. La couverture par des soins spécialisés, conséquente pour les personnes les plus exposées, semble insuffisante pour les autres personnes. Le repérage et la proposition d’un accompagnement médico-psychologique de toutes les victimes – qu’elles soient témoins ou directement menacées – constituent un enjeu majeur. En effet, les personnes n’ayant pas été directement menacées ne pensent pas spontanément à consulter, et/ou n’en parlent pas à leur médecin. Certains ressentent une culpabilité face aux personnes blessées et endeuillées. Cette culpabilité peut être un obstacle aux soins. Nos résultats incitent à renforcer les dispositifs d’information et d’accès aux soins en direction des personnes non directement menacées, y compris à moyen et long terme après les évènements.

Au-delà des troubles psychiques, et en particulier l’ESPT, très largement décrits dans d’autres contextes post-attentat, les conséquences sur l’état de santé générale étaient importantes, que ce soit dans la population générale vivant à proximité de l’évènement que chez les intervenants. Un quart des personnes déclaraient avoir consulté un praticien pour des troubles somatiques (troubles du sommeil, fatigue, troubles cardio-vasculaires, ostéo-articulaires ou dermatologiques) apparus ou aggravés dans la suite des évènements. Plus de 20 % signalaient une augmentation de leur consommation d’alcool, de tabac et/ou de cannabis. D’où l’importance de sensibiliser les professionnels de santé à l’hôpital et en ville à la problématique du psycho-traumatisme pour assurer un suivi efficace, avec un relai de la prise en charge de l’hôpital vers la médecine de ville.

Du côté des intervenants, on notait que l’impact sur la santé de l’exposition aux attentats pouvait prendre un versant plus somatique, tels que troubles du sommeil, fatigue, mal au dos, etc. Pour cette population très exposée, la généralisation des formations aux conséquences psycho-traumatiques permettrait de prévenir les conséquences sur la santé, et de faciliter l’accès à un premier soutien psychologique. La systématisation pour tous d’un premier contact avec les acteurs de prise en charge médico-psychologique, éviterait toute stigmatisation. Cela reste une piste à explorer. De même, la prise en compte des éléments de vulnérabilité, comme la fatigue des intervenants impliqués sur plusieurs sites ou du degré d’exposition à la menace est un élément à souligner.

D’autres pays comme l’Irlande du nord, après l’attentat survenu en 1998 ou l’Espagne suite aux attentats de 2004, ont réalisé des enquêtes similaires dans un contexte post-attentat. En quoi impacts se différencie-t-elle de ces enquêtes ?

La littérature internationale s’est souvent concentrée sur les personnes directement impliquées dans l’évènement, ou à la population générale. IMPACTS s’est intéressée non seulement aux victimes blessées ou ayant été directement menacées, mais également aux intervenants d’aide médicale urgente : secouristes bénévoles (associatifs) ou professionnels (pompiers), forces de l’ordre et aux témoins vivant ou travaillant à proximité des lieux des évènements. La principale force d’IMPACTS a été la recherche active sur le terrain. L’inclusion dans l’enquête a été faite par le biais de questionnaires d’inclusion envoyés par voie postale dans les lieux des personnes résidant ou travaillant dans un rayon de 50 mètres autour de l’évènement. Il a ainsi été possible de recruter 102 personnes vivant ou travaillant à proximité des attentats dont la vie quotidienne avait pu être concrètement bouleversée par les attentats. Nos résultats montrent que certaines personnes dans cette population, rarement sollicitée lors d’enquêtes post-attentat, peuvent ressentir un ensemble de symptômes correspondant aux critères d’exposition du syndrome de stress post-traumatique.
Autrement dit, leur risque de développer des troubles psychiques est plus élevé que la population générale. La démarche de repérage de personnes indirectement affectées a été particulièrement efficace car ces personnes ne sont habituellement pas dans les circuits de secours et de prise en charge, alors qu’elles sont potentiellement impactées comme le montre notre étude. Le choix d’une réponse au questionnaire d’inclusion par voie postale ou électronique nous a permis d’atteindre des profils moins coutumiers d’internet (personnes âgées, personnes socio-économiquement défavorisées).
De plus, à la différence d’une vaste majorité d’études s’intéressant à l’impact psycho-traumatique d’attentats, notre enquête ne s’est pas limitée à l’évaluation de l’ESPT. Ont également été abordés la dépression et les troubles anxieux, ainsi que l’impact ressenti sur la vie quotidienne en termes de santé somatique ou de consommation de substances psychoactives.

Enfin, notre étude était réalisée par des psychologues formés au psychotraumatisme. Cela a permis aux personnes interviewées d’être réorientées vers des soins en cas de besoin, et de recevoir une aide (psychologique, sociale, juridique) adaptée à leurs besoins.

L’impact des attentats peut se traduire par des troubles à plus long terme, bien au-delà de 6 mois. Quelles ont été les suites de cette première phase de l’enquête impacts ? Ce type d’enquête a-t-elle été exploitée pour en réaliser d’autres, suite aux attentats survenus en novembre 2015 ?

Ces premiers résultats de la première vague d’IMPACTS vont être consolidés et enrichis avec la réalisation du second entretien, réalisé entre juin et octobre 2016 (12 mois après la première inclusion). Ce suivi longitudinal a été réalisé en collaboration avec l’Équipe de recherche en épidémiologie sociale de l’Institut Pierre Louis d’épidémiologie et de santé publique (Inserm-Sorbonne Universités UPMC), et l’Université Paris 13. Plus de 350 personnes sur les 473 recrutées pour cette seconde vague ont accepté de participer. Enfin, une dernière vague est envisagée 3 ans après les évènements. Ce suivi nous permettra de mesurer la rémission, la persistance ou la réactivation des troubles en raison des évènements survenus depuis. Elle permettra aussi de connaître les conséquences des attentats sur leur vie familiale ou professionnelle, ainsi que les trajectoires de prise en charge (ruptures et reprises de soins) engagées par ces personnes.

Fort de l’expérience de l’étude IMPACTS, Santé Publique France a lancé une étude avec les mêmes objectifs, mais par questionnaire Web auprès des personnes directement impliquées par les attentats de novembre 2015. Cette étude ESPA13 novembre, est conçue avec l’Université Paris 13, mise en place en collaboration avec le programme de recherche « 13 novembre ». Ces travaux permettront de conforter les résultats d’IMPACTS afin de continuer à aider les pouvoirs publics à agir en faveur des populations touchées par les attentats.
L’ensemble de ces études s’inscrivent dans une collaboration internationale (via un COST -european cooperation in science and technology) : European research network on terror initiative) porté par le Norwegian Centre for Violence and Traumatic Stress Studies) dans laquelle Santé publique France est impliquée avec d’autres instituts européens.

Pour en savoir plus

  • sur l'étude IMPACTS :

Vandentorren S, Paty AC, Baffert E, Chansard P, Caserio-Schönemann C. Syndromic surveillance during the Paris terrorist attacks. Lancet : 2016 Feb 27;387(10021):846-7.

Vandentorren S., Sanna A., Aubert L., Pirard P., Motreff Y., Dantchev N., Baubet T. Étude de cohorte IMPACTS. Première étape : juin-octobre 2015. Saint-Maurice : Santé publique France ; 2017, 90 p.

  • sur les études réalisées par Santé publique France sur l’impact des attentats :

Etude IMPACTS 

Etude ESPA13 novembre 

Vandentorren, S., Pirard, P., Sanna, A., Aubert, L., Motreff, Y., Dantchev, N., et al. (2018). Healthcare provision and the psychological, somatic and social impact on people involved in the terror attacks in January 2015 in Paris: Cohort study. The British Journal of Psychiatry, 1-8.