Cancers pédiatriques dans le Haut-Jura : l'expertise épidémiologique en cours

Publié le 16 décembre 2019

L’Agence régionale de santé (ARS) Bourgogne-Franche-Comté a été informée en juillet dernier d’un nombre anormalement élevé de cancers touchant des enfants au sein de la population résidant dans 5 communes du Haut-Jura (Les Rousses, Morbier, Morez, Saint-Pierre, Prémanon).

Sur la base de ce signalement et après contact avec les familles, l’agence a établi une liste de dix enfants malades, en lien avec les médecins traitants et le CHRU de Besançon, qui a apporté son appui pour la confirmation des diagnostics.
Les enfants concernés étaient âgés de 6 mois à 13 ans au moment du diagnostic.

Santé publique France a été saisie le 11 septembre par l’ARS Bourgogne-Franche-Comté pour mener une investigation épidémiologique de ce signalement. L’objectif est de rechercher un éventuel facteur connu pouvant expliquer ce regroupement d’enfants malades, afin de guider les actions de santé publique visant à la maitriser.

Dans une volonté de transparence et d’écoute, une réunion d’information s’est tenue mi-octobre, avec les familles et en présence de représentants de l’ARS et de Santé publique France. Elle avait pour finalité d’échanger sur la démarche, les objectifs, la méthode employée et l’implication des familles dans ce processus, qui suit désormais son cours.

Les principales étapes de l’investigation sont :

  • d’analyser le signalement et de rechercher d’autres enfants qui n’auraient pas été signalés ;
  • de valider les diagnostics de cancers et les rapporter à une période de temps et une zone géographique données ;
  • de comparer la fréquence des cancers observés dans le temps et la zone géographique concernés par rapport aux statistiques issues du registre national des cancers de l’enfant :
  • de rechercher d’éventuelles expositions environnementales et d’analyser la bibliographie, c’est-à-dire les connaissances scientifiques à ce jour ;
  • de mener une enquête épidémiologique comprenant plusieurs étapes :
    • élaboration d’un questionnaire dédié et spécifique centré sur les facteurs de risque connus ou suspectés scientifiquement pour ces cancers,
    • recueil des informations auprès de familles et avec leur consentement,
    • analyse détaillée des questionnaires,
    • synthèse et conclusions,
    • retour aux familles des résultats de l’enquête,
    • production d’un rapport remis à l’ARS et rendu public.

Ainsi l’investigation doit permettre :

  • d’écarter un éventuel facteur de risque « important » sur lequel on pourrait agir localement (par exemple, une exposition commune à risque dans un lieu fréquenté par les enfants, comme une collectivité) ;
  • de répondre aux questionnements et préoccupations locales, dans la mesure du possible.

Questions-réponses des cancers pédiatriques

Les cancers pédiatriques

Quel est le nombre de cancers pédiatriques en France ?

On compte environ 1700 nouveaux cas de cancers pédiatriques de moins de 15 ans chaque année en France métropolitaine.

Quel sont les cancers pédiatriques les plus fréquents ?

Les cancers les plus fréquents sont les leucémies (28 %), les tumeurs du système nerveux central (24%) et les lymphomes (11%).

Quelles sont les causes des cancers pédiatriques ?

D’une manière générale, les causes des cancers d’enfants sont aujourd’hui encore très mal connues et les scientifiques disposent essentiellement d’hypothèses génétiques, immuno-infectieuses ou environnementales. En l’état actuel des connaissances, les causes des cancers pédiatriques sont très probablement plurifactorielles.

Les facteurs de risque dont le niveau de preuve est élevé sont :

  • les rayonnements ionisants médicaux à visée thérapeutique et ceux liés à des explosions atomiques, impliqués dans la survenue de plusieurs types de cancer ;
  • les prédispositions génétiques (maladies prédisposantes ou susceptibilité génétique), dans la leucémie aigue lymphoblastique ; 
  • le virus Epstein Barr (EBV) dans le lymphome de Burkitt.

D’autres facteurs sont débattus dans la littérature scientifique,  avec un niveau de preuve scientifique encore insuffisant à ce jour pour conclure en terme de causalité. Les principaux sont décrits ci-dessous :

  • des facteurs individuels : le poids à la naissance, le recours à une aide médicale à la procréation, mais également le tabagisme parental et la consommation de certains aliments à forte dose (thé et café) ;
  • des facteurs infectieux : l’exposition aux virus EBV et à l’herpès virus pour la leucémie ;
  • des expositions médicamenteuses : Antirétroviraux, Anticancéreux, contraception orale pour plusieurs types de cancers ;
  • l’exposition à des facteurs environnementaux : Physiques : les  lignes à haute tension (leucémie) ; les ultraviolets (leucémie aigue lymphoblastique) ; Chimiques : la pollution atmosphérique liée au trafic routier et notamment le benzène (leucémie) ; les Polychlorobiphényle (leucémie) ; les solvants et hydrocarbures lors d’exposition professionnelle du père ; les pesticides (hémopathies, tumeurs du système nerveux central, voire tumeurs embryonnaires), en exposition domestique ou du fait de l’exposition professionnelle des parents.
  • Le brassage de population, qui correspond à l’hypothèse immuno-infectieuse, fait également l’objet de publications pour expliquer des augmentations d’incidence de la leucémie infantile après l’afflux de population dans un territoire préalablement isolé. Enfin, des facteurs protecteurs sont également évoqués par certains auteurs, comme l’allaitement ; le contact précoce avec des agents infectieux ; la qualité de l’alimentation maternelle ou de l’enfant en termes de fruits et légumes et vitamines ;

La surveillance des cancers pédiatriques

Pourquoi existe-t-il une surveillance spécifique des cancers pédiatriques ?

Cette surveillance a été mise en place notamment dans le contexte d’investigations de regroupements de cas de cancers pédiatriques : leucémies autour de la Hague pour le début du registre des hémopathies de l’enfant (1990), et cancers dans l’école Franklin-Roosevelt à Vincennes pour le début du registre des cancers solides de l’enfant (2000). Ces deux registres ont fusionné en un seul (Registre National des Cancers de l’Enfant ou RNCE) et ont permis d’obtenir des données robustes et exhaustives sur le sujet, en réponse aux interrogations soulevées. Ils permettent aussi de faire des recherches pour améliorer les connaissances sur ces cancers, car elles peuvent se faire sur de plus grands nombres, à l’échelle nationale.

Comment est organisée la surveillance des cancers pédiatriques en France ?

En France, la surveillance des cancers de l’enfant et l’adolescent est assurée par le Registre National des Cancers de l’Enfant (RNCE) qui recense tous les cas de cancers des enfants de moins de 15 ans en France métropolitaine, depuis 1990 pour les hémopathies malignes et depuis 2000 pour les tumeurs solides. Depuis 2011, il a été étendu aux résidents des Départements d’Outre-Mer (Martinique, Guadeloupe, Guyane, Réunion) et aux adolescents de moins de 18 ans.

Qu’est-ce qu’un registre ?

Un registre est défini comme un recueil continu et exhaustif de données personnelles intéressant un ou plusieurs événements de santé dans une population géographiquement définie, à des fins de surveillance, de recherche ou d’évaluation, par une équipe ayant des compétences appropriées.

Que font les registres ?

Les registres :

  • participent à la surveillance sanitaire en produisant les taux de référence nationale sur l’incidence et la survie, et en étudiant les variations géographiques et temporelles de l’incidence.
  • surveillent l’incidence des cancers dans les populations considérées comme « à risque » : enfants ayant subi des traitements particuliers (antirétroviraux, radiothérapie…).Ils contribuent à l’investigation des agrégats de cas de cancers qui sont signalés dans un secteur géographique.
  • sont aussi un support pour les travaux de recherche sur les cancers menés au sein de l’équipe INSERM d’épidémiologie des cancers de l’enfant et de l’adolescent dirigée par J. Clavel (EPICEA, CRESS, UMR-S1153). Par exemple :
    • Le programme GEOCAP (Étude GEOlocalisée des CAncers Pédiatriques) dont l’objectif est d’étudier le rôle des expositions environnementales dans la survenue des cancers de l’enfant de moins de 15 ans (le trafic routier et l'exposition aux polluants émis, les lignes à haute tension et les champs électromagnétiques, la proximité de sites nucléaires, les rayonnements ionisants naturels, les UV…).
    • Les études ESCALE ou ESTELLE qui étudient l’influence sur le risque de cancer chez l'enfant, du déroulement de la grossesse, des caractéristiques de l’enfant à la naissance, de l’environnement de l’enfant in utero ou au cours de l’enfance, lié à la profession ou au mode de vie de ses parents, les prédispositions génétiques…
    • L’étude MOBI-KIDS recherche un lien entre l’exposition aux radiofréquences générées par les téléphones portables et la survenue d’une tumeur cérébrale chez les jeunes.

Les agrégats de cas de cancer

Qu’est-ce qu’un agrégat de cas de cancer ?

Un « agrégat spatio-temporel » ou « cluster » en anglais, est un regroupement de personnes ayant une même maladie ou les mêmes symptômes dans une zone géographique et dans un temps donné et dont le nombre rapporté à sa population est inhabituellement élevé.

Un tel regroupement peut survenir au sein d’une collectivité du fait de causes variées, et possiblement imbriquées, d’origine génétique, environnementale, infectieuse, professionnelle ou encore liées au mode de vie. Si aucune cause n’est identifiée, le rôle du hasard ne peut pas être exclu, du fait de la distribution statistique des cas dans le temps et dans l’espace et de la possibilité que le nombre de cas perçu comme anormal appartienne à cette distribution, et en soit simplement un élément extrême.

La mise en évidence d’un cluster soulève cependant la question, en santé publique, de l’existence d’une (ou plusieurs) cause (s) commune(s) qui explique(nt) le regroupement de cas de maladie dans le temps et dans l’espace.

La survenue d’agrégats de cancers pédiatriques en France est-elle fréquente ?

Concernant les clusters signalés à Santé publique France, ils sont assez fréquents (plusieurs/an), et font l’objet d’investigations systématiques en fonction du contexte et avec le concours du Registre national des cancers d’enfant pour recenser les cas validés.

Comment est traité un signalement d’agrégat de cancers ?

Les professionnels de santé ont développé un protocole spécifique pour l’étude des regroupements spatio-temporels de cas de maladie (cluster), qui est présenté dans un guide méthodologique disponible sur le site internet de Santé publique France. Ce protocole prévoit la collecte d’informations sur les problèmes de santé ayant fait l’objet d’un signalement et sur l’environnement dans lequel il est survenu.

Le principe scientifique directeur de l’investigation d’un signalement de cluster réside dans la notion que, s’il y a regroupement « anormal » de personnes atteintes d’une même maladie, elles devraient partager une exposition à une ou plusieurs cause(s) commune(s) et que cette situation d’exposition n’est pas retrouvée dans le reste de la population. Dès lors, les objectifs épidémiologiques de la réponse à une suspicion de cluster sont de déterminer :

  • s’il existe effectivement un excès de pathologies dans la population observée ;
  • et, si cet excès existe, de déterminer s’il existe une ou plusieurs causes locales à ce regroupement de cas, autres que le hasard.