Cancers pédiatriques dans l’Eure : l'expertise épidémiologique en cours

L’Agence régionale de santé (ARS) de Normandie a été informée en septembre 2019 d’un nombre élevé de cancers touchant des enfants résidant dans deux communes de l’Eure.

Mis à jour le 22 novembre 2022

En 2019, plusieurs cancers pédiatriques ont été signalés sur un secteur regroupant quelques communes dans l’Eure (27). Suite à ces signalements, l’Agence régionale de santé Normandie a saisi Santé publique France. 

Santé publique France Normandie a réalisé une enquête épidémiologique afin de déterminer :

  • s’il existe effectivement un excès statistique de personnes atteintes de cancer dans la population observée et sur quel périmètre géographique ;
  • et s’il existe une ou plusieurs cause(s) locale(s) à ce regroupement de cas autres que le hasard, sur la ou lesquelles il est possible d’agir.

Une analyse, réalisée en 2020, a mis en évidence un excès de cas de leucémies diagnostiquées sur une période de 3 ans (2017-2019) chez les enfants de moins de 15 ans, par rapport à un nombre de cas attendu calculé à partir de l’incidence moyenne nationale. Aucun excès de cas n’a été mis en évidence pour tous types de cancer.

L’analyse épidémiologique n’a pas permis d’identifier des facteurs de risque communs aux enfants. L’état des lieux environnemental basé sur les données préalablement existantes n’a pas identifié de situation particulière. Le rapport d’investigation a été mis en ligne en avril 2022.

L’hypothèse privilégiée à l’issue de cette investigation épidémiologique est celle d’un regroupement spatio-temporel de cas de leucémie lié à une distribution aléatoire des cas inhomogène sur une zone géographique et une période donnée. Dans le but de conforter cette hypothèse, Santé publique France a mis en place une surveillance afin d’identifier tout nouveau cas et de réévaluer régulièrement la situation. Cette surveillance est mise en œuvre sur la base de l’identification de nouveaux enfants malades en interrogeant régulièrement et activement le service d’oncologie pédiatrique du CHU de Rouen. 

En 2020 et 2021, aucun nouveau cas de leucémie n’a été diagnostiqué sur le secteur. Ces résultats sont cohérents avec les conclusions du rapport d’investigation initial, à savoir celles d’une fluctuation aléatoire de la répartition spatio-temporelle du nombre de cas.

Ces conclusions, sur la période 2017-2019, ont conduit Santé publique France à mettre un terme à l’investigation épidémiologique en juin 2021 et à engager une surveillance post-investigation pour une durée de 3 ans, sur la base des nouveaux cas qui seraient diagnostiqués.

Contribution de Santé publique France à l’amélioration des connaissances en santé environnementale, cancer pédiatrique et promotion de la santé dans ces domaines

Santé publique France poursuit sa contribution à l’amélioration des connaissances au travers de plusieurs études nationales. Notamment :

  • L’étude nationale Géocap Agri, menée par l’Inserm-Epicea UMR 1153 en partenariat avec Santé publique France, avec le financement de l’Anses, étudie le risque d’apparition de cancers chez l’enfant au regard de la proximité résidentielle des cas à certaines familles de cultures. Cette étude fait partie du programme Géocap de l’Inserm qui étudie le risque des cancers pédiatriques en fonction de sources d'expositions environnementales cartographiées (radiations ionisantes d'origine naturelle, rayonnement UV, voisinage d'activités, agricoles, proximité de zones industrielles notamment) présentes dans l'environnement.
  • La réponse à la saisine, en 2022, de la Direction générale de la santé concernant l’augmentation de l’incidence des glioblastomes en France métropolitaine, copilotée par SpFrance et l’Institut national du cancer, s’appuiera sur (1) l’analyse détaillée des données d’incidence produites par les registres des cancers, relatives aux tumeurs primitives du système nerveux central et (2) l’identification des pistes de recherche épidémiologiques pour consolider la connaissance sur l’évolution et les facteurs de risque de ces tumeurs. Pour le point (1), le volet enfant fera l’objet d’une étude spécifique par le RNCE avec des résultats attendus en 2024.
  • Le volet biosurveillance de l’étude ESTeban a pour objectif de décrire et d’estimer les niveaux d’imprégnation de la population à divers substances de l’environnement qui ont un impact sur la santé et les suivre dans le temps (par répétition des enquêtes). Des résultats d’imprégnation relatifs à plusieurs substances (plomb, métaux, pesticides, arsenic par exemple) ont été publiés en 2021 : lien vers les publications.
  • L’étude PESTIRIV a pour objectif de savoir s’il existe une différence d’exposition aux pesticides des personnes vivant près de vignes et de celles vivant loin de toute culture. Il s’agit d’une étude d’imprégnation multi-sites (6 régions retenues) chez des riverains de zones de cultures agricoles (prélèvements chez 1 500 personnes exposées et 7 050 personnes non exposées) couplée à des mesures environnementales de l'air (intérieur et extérieur) et des poussières des lieux de vie, en partenariat avec l'Anses. Le rapport complet est attendu pour 2024.

En parallèle, Santé publique France est engagée pour la promotion de la santé et la prévention dans le champ de la périnatalité et de la petite enfance. En 2021, SpFrance et le ministère des Solidarités et de la Santé ont lancé une campagne d’informations sur la période sensible des 1000 premiers jours de la vie correspondant à la période de conception jusqu’aux deux premières années de la vie. Des outils à destination des parents et des professionnels sont mis à disposition sur 1000-premiers-jours.fr.

Connaissance sur les facteurs de risque des cancers pédiatriques et travaux de recherche (Source : Jacqueline Clavel, Brigitte Lacour de l’équipe INSERM de recherche d'Epidémiologie des cancers de l'enfant et de l'adolescent - RNCE) 

A l'heure actuelle, aucune exposition environnementale n'a été établie comme facteur de risque des cancers de l'enfant en situation « normale ». Contrairement aux cancers de l'adulte, très peu de carcinomes se développent chez l'enfant, et les nombreux facteurs de risque environnementaux établis chez l'adulte en milieu professionnel et dans les habitudes de vie ne concernent pas l'enfant. 
Les radiations ionisantes sont des facteurs de risque reconnus dans un contexte environnemental en situation de catastrophe. Elles sont ainsi à l'origine de cancers de la thyroïde chez les riverains ukrainiens et biélorusses de l'accident de Tchernobyl, et de tous types de cancers chez les survivants des bombardements d'Hiroshima et Nagasaki. Le virus d'Epstein Barr est un facteur de risque prouvé de cancer nasopharyngé, de lymphome de Hodgkin et de lymphome de Burkitt. Dans ce dernier cas, dans l'environnement subsaharien favorable à l'anophèle, le paludisme joue un rôle de cofacteur.

Beaucoup de données ont été réunies sur d'autres expositions environnementales, sans pour autant parvenir à des conclusions fermes. La rareté et la diversité des cancers de l'enfant, la nécessité de disposer de contrastes d'exposition importants pour voir apparaître des différences de risque entre enfants exposés et non exposés, la difficulté de retracer l'historique des expositions depuis la vie intra utérine et l'absence de marqueurs d'exposition persistants au moment du diagnostic de cancer compliquent la recherche de facteurs de risque et obligent à travailler à l'échelle nationale ou internationale. Les 30 dernières années ont été productives et ont permis de documenter plusieurs hypothèses :

  • Le rôle des radiations ionisantes, aux doses faibles, issues des expositions d'origine naturelle (radon et rayonnement gamma tellurique), est très discuté. Aucun excès de risque de leucémie n'a été observé en France sur 30 années d'observation, mais un doute persiste dans certains pays. Il est beaucoup plus difficile d'étudier le risque de tumeurs cérébrales et a fortiori d'autres tumeurs solides du fait que ce sont des tumeurs très variées, très hétérogènes, avec de faibles effectifs. Néanmoins, si l'on a encore des difficultés à écarter la possibilité de tout risque de cancer lié à ces expositions environnementales, les données actuelles permettent de dire qu'un tel risque, s'il existe, ne peut être que très modéré ; 
  • Les expositions résidentielles aux pesticides, en particulier pendant la grossesse, sont associées à une augmentation du risque de leucémie et de tumeur cérébrale de l'enfant dans de nombreuses études. Cette augmentation, de l'ordre de 50%, n'est toutefois pas établie avec certitude, les données reposant pour la plupart sur la mémoire de parents d'enfants malades et non malades. La recherche de marqueurs biologiques d’exposition persistants sur plusieurs années, ou de tout autre indicateur objectif d'exposition permettrait d'avancer sur le rôle de ces expositions fréquentes ; 
  • Les expositions au trafic automobile et à la pollution de l'air ont été un peu moins étudiées. Les données actuelles suggèrent une augmentation du risque de leucémie chez les enfants les plus exposés, qui doit être confirmée et précisée. Les données sont beaucoup plus limitées et hétérogènes sur les tumeurs du système nerveux central et très insuffisantes sur les autres types de cancer ; 
  • Les expositions aux champs magnétiques à extrêmement basse fréquence générées par les lignes à haute tension ont été incriminées devant l'observation d'un risque plus élevé de leucémie chez les enfants vivant au voisinage immédiat des lignes de très haut voltage. Les données épidémiologiques récentes sont beaucoup moins en faveur de cette association qui n'a, par ailleurs, aucun substratum biologique. 

Des facteurs liés au mode de vie, sans pour autant relever de l'environnement proprement dit, ont été souvent associés au risque de cancer chez l'enfant. Ainsi, la consommation paternelle de tabac avant la conception augmenterait le risque de leucémie. A l'inverse, certains facteurs comme l'allaitement prolongé, la supplémentation maternelle préconceptionnelle en acide folique et, pour les leucémies, les infections banales précoces et la garde en crèche, pourraient avoir un rôle protecteur. 

Beaucoup de questions demeurent, elles font l'objet d'une recherche française https://rnce.inserm.fr/, https://programme-pediac.com/ et internationale https://www.clic.ngo/ très active.

Questions-réponses des cancers pédiatriques

Les cancers pédiatriques

Quel est le nombre de cancers pédiatriques en France ?

On compte environ 1700 nouveaux cas de cancers pédiatriques de moins de 15 ans chaque année en France métropolitaine.

Quel sont les cancers pédiatriques les plus fréquents ?

Les cancers les plus fréquents sont les leucémies (28 %), les tumeurs du système nerveux central (24%) et les lymphomes (11%).

Quelles sont les causes des cancers pédiatriques ?

D’une manière générale, les causes des cancers d’enfants sont aujourd’hui encore très mal connues et les scientifiques disposent essentiellement d’hypothèses génétiques, immuno-infectieuses ou environnementales. En l’état actuel des connaissances, les causes des cancers pédiatriques sont très probablement plurifactorielles.

Les facteurs de risque dont le niveau de preuve est élevé sont :

  • les rayonnements ionisants médicaux à visée thérapeutique et ceux liés à des explosions atomiques, impliqués dans la survenue de plusieurs types de cancer ;
  • les prédispositions génétiques (maladies prédisposantes ou susceptibilité génétique), dans la leucémie aigue lymphoblastique ; 
  • le virus Epstein Barr (EBV) dans le lymphome de Burkitt.

D’autres facteurs sont débattus dans la littérature scientifique,  avec un niveau de preuve scientifique encore insuffisant à ce jour pour conclure en terme de causalité. Les principaux sont décrits ci-dessous :

  • des facteurs individuels : le poids à la naissance, le recours à une aide médicale à la procréation, mais également le tabagisme parental et la consommation de certains aliments à forte dose (thé et café) ;
  • des facteurs infectieux : l’exposition aux virus EBV et à l’herpès virus pour la leucémie ;
  • des expositions médicamenteuses : Antirétroviraux, Anticancéreux, contraception orale pour plusieurs types de cancers ;
  • l’exposition à des facteurs environnementaux : Physiques : les  lignes à haute tension (leucémie) ; les ultraviolets (leucémie aigue lymphoblastique) ; Chimiques : la pollution atmosphérique liée au trafic routier et notamment le benzène (leucémie) ; les Polychlorobiphényle (leucémie) ; les solvants et hydrocarbures lors d’exposition professionnelle du père ; les pesticides (hémopathies, tumeurs du système nerveux central, voire tumeurs embryonnaires), en exposition domestique ou du fait de l’exposition professionnelle des parents.
  • Le brassage de population, qui correspond à l’hypothèse immuno-infectieuse, fait également l’objet de publications pour expliquer des augmentations d’incidence de la leucémie infantile après l’afflux de population dans un territoire préalablement isolé. Enfin, des facteurs protecteurs sont également évoqués par certains auteurs, comme l’allaitement ; le contact précoce avec des agents infectieux ; la qualité de l’alimentation maternelle ou de l’enfant en termes de fruits et légumes et vitamines ;

La surveillance des cancers pédiatriques

Pourquoi existe-t-il une surveillance spécifique des cancers pédiatriques ?

Cette surveillance a été mise en place notamment dans le contexte d’investigations de regroupements de cas de cancers pédiatriques : leucémies autour de la Hague pour le début du registre des hémopathies de l’enfant (1990), et cancers dans l’école Franklin-Roosevelt à Vincennes pour le début du registre des cancers solides de l’enfant (2000). Ces deux registres ont fusionné en un seul (Registre National des Cancers de l’Enfant ou RNCE) et ont permis d’obtenir des données robustes et exhaustives sur le sujet, en réponse aux interrogations soulevées. Ils permettent aussi de faire des recherches pour améliorer les connaissances sur ces cancers, car elles peuvent se faire sur de plus grands nombres, à l’échelle nationale.

Comment est organisée la surveillance des cancers pédiatriques en France ?

En France, la surveillance des cancers de l’enfant et l’adolescent est assurée par le Registre National des Cancers de l’Enfant (RNCE) qui recense tous les cas de cancers des enfants de moins de 15 ans en France métropolitaine, depuis 1990 pour les hémopathies malignes et depuis 2000 pour les tumeurs solides. Depuis 2011, il a été étendu aux résidents des Départements d’Outre-Mer (Martinique, Guadeloupe, Guyane, Réunion) et aux adolescents de moins de 18 ans.

Qu’est-ce qu’un registre ?

Un registre est défini comme un recueil continu et exhaustif de données personnelles intéressant un ou plusieurs événements de santé dans une population géographiquement définie, à des fins de surveillance, de recherche ou d’évaluation, par une équipe ayant des compétences appropriées.

Que font les registres ?

Les registres :

  • participent à la surveillance sanitaire en produisant les taux de référence nationale sur l’incidence et la survie, et en étudiant les variations géographiques et temporelles de l’incidence.
  • surveillent l’incidence des cancers dans les populations considérées comme « à risque » : enfants ayant subi des traitements particuliers (antirétroviraux, radiothérapie…).Ils contribuent à l’investigation des agrégats de cas de cancers qui sont signalés dans un secteur géographique.
  • sont aussi un support pour les travaux de recherche sur les cancers menés au sein de l’équipe INSERM d’épidémiologie des cancers de l’enfant et de l’adolescent dirigée par J. Clavel (EPICEA, CRESS, UMR-S1153). Par exemple :
    • Le programme GEOCAP (Étude GEOlocalisée des CAncers Pédiatriques) dont l’objectif est d’étudier le rôle des expositions environnementales dans la survenue des cancers de l’enfant de moins de 15 ans (le trafic routier et l'exposition aux polluants émis, les lignes à haute tension et les champs électromagnétiques, la proximité de sites nucléaires, les rayonnements ionisants naturels, les UV…).
    • Les études ESCALE ou ESTELLE qui étudient l’influence sur le risque de cancer chez l'enfant, du déroulement de la grossesse, des caractéristiques de l’enfant à la naissance, de l’environnement de l’enfant in utero ou au cours de l’enfance, lié à la profession ou au mode de vie de ses parents, les prédispositions génétiques…
    • L’étude MOBI-KIDS recherche un lien entre l’exposition aux radiofréquences générées par les téléphones portables et la survenue d’une tumeur cérébrale chez les jeunes.

Les agrégats de cas de cancer

Qu’est-ce qu’un agrégat de cas de cancer ?

Un « agrégat spatio-temporel » ou « cluster » en anglais, est un regroupement de personnes ayant une même maladie ou les mêmes symptômes dans une zone géographique et dans un temps donné et dont le nombre rapporté à sa population est inhabituellement élevé.

Un tel regroupement peut survenir au sein d’une collectivité du fait de causes variées, et possiblement imbriquées, d’origine génétique, environnementale, infectieuse, professionnelle ou encore liées au mode de vie. Si aucune cause n’est identifiée, le rôle du hasard ne peut pas être exclu, du fait de la distribution statistique des cas dans le temps et dans l’espace et de la possibilité que le nombre de cas perçu comme anormal appartienne à cette distribution, et en soit simplement un élément extrême.

La mise en évidence d’un cluster soulève cependant la question, en santé publique, de l’existence d’une (ou plusieurs) cause (s) commune(s) qui explique(nt) le regroupement de cas de maladie dans le temps et dans l’espace.

La survenue d’agrégats de cancers pédiatriques en France est-elle fréquente ?

Concernant les clusters signalés à Santé publique France, ils sont assez fréquents (plusieurs/an), et font l’objet d’investigations systématiques en fonction du contexte et avec le concours du Registre national des cancers d’enfant pour recenser les cas validés.

Comment est traité un signalement d’agrégat de cancers ?

Les professionnels de santé ont développé un protocole spécifique pour l’étude des regroupements spatio-temporels de cas de maladie (cluster), qui est présenté dans un guide méthodologique disponible sur le site internet de Santé publique France. Ce protocole prévoit la collecte d’informations sur les problèmes de santé ayant fait l’objet d’un signalement et sur l’environnement dans lequel il est survenu.

Le principe scientifique directeur de l’investigation d’un signalement de cluster réside dans la notion que, s’il y a regroupement « anormal » de personnes atteintes d’une même maladie, elles devraient partager une exposition à une ou plusieurs cause(s) commune(s) et que cette situation d’exposition n’est pas retrouvée dans le reste de la population. Dès lors, les objectifs épidémiologiques de la réponse à une suspicion de cluster sont de déterminer :

  • s’il existe effectivement un excès de pathologies dans la population observée ;
  • et, si cet excès existe, de déterminer s’il existe une ou plusieurs causes locales à ce regroupement de cas, autres que le hasard.