L'enquête ESPA 13 novembre

L'enquête ESPA 13 novembre a été menée après les attentats de novembre 2015 survenus à Paris et à Saint-Denis : 1re phase menée en 2016 et 2e phase menée en 2020. Ce projet s'intègre dans le programme 13-11 de recherche transdisciplinaire.

Publié le 29 avril 2019
Dans cet article

Contexte

Suite aux attentats du 13 novembre 2015, Santé publique France a lancé dès 2016 la première phase d’une grande enquête épidémiologique : l’Enquête de Santé publique Post-Attentats de novembre 2015 (ESPA 13 novembre). Près de 1 400 personnes y ont participé. Les résultats montrent un fort impact sur la santé mentale des personnes impliquées et donne des pistes intéressantes pour une meilleure prise en charge des victimes et des professionnels et bénévoles qui sont intervenus au décours de ces évènements*.

Ce projet est un volet du Programme 13-Novembre, un vaste programme transdisciplinaire de 12 ans (2016-2028) financé en particulier par les Investissements d’Avenir via l’ANR et porté scientifiquement par le CNRS et l’Inserm. 

Objectifs

L’étude ESPA 13 novembre a pour objectifs : 

  • d'estimer l’impact psycho-traumatique (état de stress post traumatique, dépression, anxiété, deuil prolongé, addictions, risque suicidaire) 8 mois puis 4 ans après les attentats de novembre 2015 et identifier les facteurs associés
    • pour les personnes ayant déjà répondu à la 1re phase de l'étude en 2016, étudier aussi l’évolution de cet impact et les facteurs associés
  • de décrire et comparer l’utilisation des dispositifs de soins depuis les événements et connaitre les facteurs associés
    • pour ceux qui ont accepté de fournir leur numéro de sécurité sociale, estimer l’impact des attentats sur l’utilisation des dispositifs de soins grâce à un suivi 5 ans avant et 10 ans après les attentats.
  • de donner aux personnes les moyens d’avoir un repère sur leur état de santé mentale et s’ils le désirent, d’être orientés

Population d'étude

Le trouble de stress post traumatique (TSPT) peut survenir chez des personnes qui ont été exposées à la mort ou à une menace de mort, à une blessure grave. Il se manifeste par des pensées intrusives, des conduites d’évitement, des réactions neurodégénératives intenses ainsi que des altérations cognitives et de l’humeur qui durent au moins 1 mois et handicapent la vie quotidienne (lourdes répercussions sur les relations familiales et sociales, les capacités de travail ainsi que sur la survenue de morbidités). La population incluse dans l’étude est celle dont l’exposition lors des attentats de novembre 2015 répond au critère A de la définition du  DSM-5 d’un TSPT. 

Il s’agit :

  • des civils directement menacés ou blessés,
  • des civils, témoins directs de l’évènement,
  • des civils ayant appris brutalement l’implication dans ces évènements d’une personne qu’ils considéraient comme proche voire sa disparition,
  • des intervenants qui, dans la cadre de leur activité professionnelle ou associative ont été mobilisés pour assurer la prise en charge des victimes d’attentats et de la population exposée sur le site des attaques ou dans les structures de prise en charge ; pour sécuriser les lieux des attaques ou mener les enquêtes judiciaires ; pour réhabiliter les lieux des attaques.

Méthodologie

Déroulement de l'étude

L’interview a été mené via un questionnaire en ligne. 

Un premier questionnaire d’inclusion a permis de vérifier que le répondant était bien concerné par l’étude (lieu de l’attentat dans lequel il a été impliqué, critères A de la définition du TSPT) et qu’il était majeur.  Si la personne était éligible, elle était ensuite informée des objectifs de l’étude, des garanties de protection et de confidentialité et il lui était aussi proposé de renseigner son numéro de Sécurité Sociale (ou Numéro d’Inscription au Répertoire [NIR]), permettant ainsi d’obtenir ses données de parcours et de consommation de soins issues du Système national des données de santé (SNDS). Le répondant était libre de refuser, cela ne l’empêchait pas d’avoir accès au questionnaire épidémiologique. Le temps nécessaire au remplissage du questionnaire était estimé entre 30 mn et 45 mn. Il était aussi possible de le remplir en plusieurs fois.
Une hotline spécifique permettait de joindre un psychologue de 10h à 22h 6/7 jours pour toute aide au remplissage ou en cas de besoin de soutien psychologique.

Données recueillies

Données du questionnaire d’inclusion

Age ; exposition aux évènements, consentement à la participation à l’étude ; nom, prénom, adresse postale, mail (pour informer des résultats) ; numéro de téléphone actuel (pour l’accès au questionnaire épidémiologique) ; participation éventuelle à la première phase d’étude en 2016 ; consentement à l’accès aux données SNDS ; NIR, date de naissance et sexe (pour les répondants ayant accepté l’accès à leurs données du SNDS) ;

Données du questionnaire épidémiologique

Informations sociodémographiques ; Vécu des attentats de Novembre 2015 (seulement pour les personnes n'ayant pas participé à la 1re phase d'étude en 2016) ; modalités d’intervention (pour les intervenants) ; facteurs modifiant la santé mentale: facteurs de risque classiques, qualité du soutien social perçu et difficulté à partager, exposition aux media et ressenti ; Impact sur la santé (troubles de santé mentale et impact psychosocial, trouble de l’usage de substances psychoactives, problèmes de santé somatiques) ; impact professionnel et impact sur la vie quotidienne ;utilisation des dispositifs de prise en charge : utilisations des services de santé internes (pour les intervenants) et externes, besoins de recours aux soins et perception ; recours aux associations et perception ; information et recours aux droits ; espace d’expression libre.

Sécurité des données à caractère personnel

L’enquête ESPA 13 novembre, qualifiée de recherche impliquant la personne humaine à risque et contrainte minime, a reçu l’avis favorable d’un comité de protection des personnes (CPP) ainsi que l’autorisation de la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL).
Le traitement de données à caractère personnel mis en œuvre par et sous la responsabilité de Santé publique France, dans le cadre de cette enquête, est fondé sur l’exécution d’une mission d’intérêt public.
Sante publique France assure la sécurité des données à caractère personnel par le recours à un hébergeur agréé HDS pour la phase de recueil en ligne. Des moyens techniques et informatiques spécifiques sont mis en place au sein de l’Agence pour la phase d’analyse des résultats.
La fin de la recherche est prévue en 2027. Les données, incluant celles issues du SNDS seront conservées jusqu'en 2028 avant destruction. 
Le traitement de vos données n’a pas de caractère obligatoire. Vous pouvez à tout moment exercer votre droit d’accès, de rectification ou d’effacement de vos données, de limitation et d’opposition au traitement de ces données en contactant l’équipe projet.

Résultats préliminaires ESPA-13 novembre phase 1

L’étude visait à évaluer l’impact psycho-traumatique et le recours aux soins des personnes exposées aux évènements terroristes de novembre 2015. 
Le trouble de stress post traumatique (TSPT) peut survenir chez des personnes qui ont été exposées à la mort ou à une menace de mort, à une blessure grave. Il se manifeste par des pensées intrusives, des conduites d’évitement, des réactions neurodégénératives intenses ainsi que des altérations cognitives et de l’humeur qui durent au moins 1 mois et handicapent la vie quotidienne (lourdes répercussions sur les relations familiales et sociales, les capacités de travail ainsi que sur la survenue de morbidités). La population incluse dans l’étude est celle dont l’exposition lors des attentats de novembre 2015 répond au critère A de la définition du DSM-5 d’un TSPT. 

Population civile

Au total, 575 civils ont répondu au questionnaire et 526 ont été inclus dans l’étude (impliqués dans les attentats au Bataclan, aux terrasses, au stade de France, à Saint Denis le 18 novembre). Parmi eux, 32% (169) ont été directement menacés, 27% (141) ont été témoins directs, 18% (98) témoins à proximité (résidents, dans les rues) et 22% (118) sans exposition directe mais soit endeuillés (95), soit proches d’un menacé direct (23).

Sur l’impact psycho-traumatique, un TSPT probable a été observé pour 54% des menacés directs, 27% des témoins sur place, 21% des témoins à proximité, 54% chez les endeuillés.
Concernant les comorbidités, une forte symptomatologie dépressive est retrouvée (notamment chez les TSPT+), avec 49% chez les endeuillés, 36% chez les menacés et 26% chez les témoins. Des endeuillés d’ailleurs, qui présentent pour 66% d’entre eux, un deuil dit compliqué (dont 81% associent également un TSPT).
On note une augmentation voire une initiation du recours à  une consommation de substances psychoactives (alcool, tabac, cannabis, médicaments) pour 43% des répondants.
Blessés exclus, 83% des répondants expriment des troubles physiques dont l’apparition ou l’aggravation est, selon eux, liée aux attentats.
Sur les répercussions sociales, 56% des personnes qui occupaient un emploi au moment des attentats affirment avoir eu un arrêt de travail. Elles sont encore 5% à ne pouvoir retourner travailler 8 à 11 mois après les évènements.
Les facteurs les plus fréquemment associés au TSPT sont : la sévérité de l’exposition, le sexe féminin, une catégorie socio-professionnelle basse, des antécédents de traitement ou de pathologie psychiatrique, des antécédents d’autres troubles traumatiques, un isolement social et un vécu péri-traumatique important. 

Sur l’utilisation de soins médico-psychologiques suivis et réguliers, parmi les 475 personnes qui ont répondu, seulement 33% déclarent en avoir engagés (et jusqu’à 46% des TSPT+). Le recours aux soins est associé à l’exposition de la personne (63% des témoins et 46% des endeuillés n’ont pas engagé de soins), ainsi qu’au nombre de problèmes physiques liés. Devant un taux important de refus de soins, les raisons évoquées sont : moment inadapté (28%), modalités de soin inadaptées (28%), absence de besoin éprouvé (20%), absence de soin proposé (14%), absence de légitimité, gêne ou mauvais contact avec le premier thérapeute consulté (12%), difficulté d’accès pratique aux soins (11%), raisons financières (11%).

Population intervenante

Au total, 837 intervenants ont répondu au questionnaire et 698 ont été inclus dans l’étude (intervenus dans les attentats au Bataclan, aux terrasses, au stade de France, à Saint Denis le 18 novembre, sécurisation des scènes de crimes, enquêtes judiciaires, prise en charge des blessés physiques et psychiques). Parmi eux, 240 (34.4%) étaient des professionnels de santé (hospitaliers, réservistes, premiers secours d’urgence, SAMU, premiers soutien psychologiques, CUMP, suivi des soins, …), 208 (29.8%) appartenaient à la Brigade des Sapeurs-Pompiers de Paris (BSPP), 136 (19.5%) étaient membres d’associations agréées de protection civile (bénévoles, secouristes, acteurs sociaux), 95 (13.6%) appartenaient aux forces de police et 17 (2.4%) étaient employés des villes de Paris et de Saint Denis.

Globalement, 5% des intervenants présentaient un TSPT probable. Cette proportion était de 3,5% parmi les pompiers de Paris, 4,5% pour les professionnels de santé et les bénévoles des associations de protection civile et 9,9% parmi les forces de l’ordre. Comme pour la plupart des études post-attentats, une association est retrouvée entre le TSPT et le niveau d’exposition aux attentats. Les interventions sur des lieux définis comme non sécurisés, concernait plus de ¾ des pompiers, ½ des associatifs, 1/3 des forces de police et 8% des professionnel de santé ; parmi lesquels 7.7% présentaient les critères d’un TSPT probable. A l’exposition professionnelle des intervenants, s’ajoute aussi leur implication personnelle. Même si l’association entre la survenue d’un TSPT et la perte d’un proche n’a pu être mise en évidence ; 9% des intervenants ont été impactés par le décès d’un proche ou la menace directe d’un de leurs proches par les terroristes.
Les intervenants constituent des populations exposées aux risques psychotraumatiques puisque près de la moitié a déjà été confrontée, avant les attentats, à un évènement traumatogène au cours de leur vie. Environ 1/3 était déjà intervenu sur les précédents attentats de janvier 2015. 

Remparts à cette vulnérabilité, le soutien social et la préparation des professionnels intervenants ressortiraient comme facteurs protecteurs. Formation sur les risques psychosociaux, sensibilisation aux conséquences psychologiques que les personnes pourraient voir apparaître suite à une intervention traumatogène, formation aux premiers secours psychologiques et enfin, référent connu pour une éventuelle aide sur les risques psychosociaux concernent respectivement 40,28%, 43.06%, 66.83% et 22.24% respectivement.

Conclusion

L’impact des attentats est important sur la santé mentale, aussi bien chez les personnes directement exposées que chez les personnes indirectement impliquées (témoins, endeuillés). L’impact sanitaire est bien plus large que les seuls troubles mentaux. L’impact des évènements touche aussi l’intégration sociale. Il est donc important de sensibiliser, former au dépistage du TSPT et les autres morbidités chez les personnes fortement exposées, directement (menacés, témoins) mais aussi indirectement (endeuillés, proches de victimes directes).
Ce dépistage permet de proposer une orientation, une prise en charge et un traitement adaptés, au long cours, qui atténue l’intensité, la durée et les complications sociales de l’ensemble des morbidités post-traumatiques. Pour les professionnels intervenant sur ce type d’évènements, il est important que les différentes institutions accordent de l’importance au soutien social ainsi qu’à la préparation à la gestion du stress et aux conséquences des traumatismes psychiques.